La fiscalità nell’integrazione economica e giuridica europea: il ruolo dei Parlamenti*
Pierre Beltrame [1]
“No European taxation without European Representation!”
F.Vanistendeal
Même si le rôle des parlements nationaux dans la construction européenne a été amélioré par l’adoption des dispositions du Traité de Lisbonne, leur participation effective à l’intégration fiscale reste très modeste (I).
Plus préoccupant même, l’harmonisation fiscale et les progrès de l’intégration économique à travers l’approfondissement du marché unique et l’exercice effectif des libertés européennes de circulation, tend à se réaliser en diminuant les pouvoirs des parlements nationaux dans l’exercice d’une de leurs prérogatives essentielles: le vote de la loi fiscale, conduisant à un dépérissement du principe démocratique du consentement de l’impôt (II).
I – Le rôle des parlements nationaux dans le fonctionnement de l’Union européenne
Largement ignorés par la construction européenne depuis l'élection du Parlement européen au suffrage universel direct en 1979, les parlements nationaux ont vu progressivement leur rôle s'accroître à partir des années 1990, cette meilleure prise en compte étant considérée comme un moyen de remédier au « déficit démocratique » de l'Union.
C'est ainsi que le Traité de Maastricht, il y a vingt ans, s'était accompagné d'une déclaration relative aux parlements nationaux et à la coopération interparlementaire.
Le Traité d'Amsterdam a franchi une étape supplémentaire avec un protocole consacré au « rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne».
Toutefois, la reconnaissance d'un rôle collectif des parlements nationaux à l'échelle européenne s'est pendant longtemps heurtée à la réticence du Parlement européen, soucieux de préserver ses prérogatives et à l'idée que la fonction de chaque parlement national est avant tout de contrôler l'activité de son gouvernement au sein du Conseil.
La place des parlements nationaux dans l'Union européenne, qui figurait parmi les quatre thèmes de la déclaration sur l'avenir de l'Union annexée au Traité de Nice, a occupé une place importante dans les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Mais la proposition de la Convention de créer un Congrès, regroupant des représentants du Parlement européen et des parlements nationaux, n'a pas été retenue.
Le Traité de Lisbonne va plus loin. Il consacre un article au rôle des parlements nationaux. C'est la première fois que la contribution des parlements nationaux au « bon fonctionnement » de l'Union se trouve mentionnée dans le corps des traités.
Ainsi, l’article 12 du traité sur l’Union européenne dispose que :
« Les parlements nationaux contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union :
a) en étant informés par les institutions de l'Union et en recevant notification des projets d'actes législatifs européens conformément au protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne;
b) en veillant au respect du principe de subsidiarité conformément aux procédures prévues par le protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité;
c) en participant, dans le cadre de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, aux mécanismes d'évaluation de la mise en œuvre des politiques de l'Union dans cet espace, conformément à l'article 70 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et en étant associés au contrôle politique d'Europol et à l'évaluation des activités d'Eurojust, conformément aux articles 88 et 85 dudit traité;
d) en prenant part aux procédures de révision des traités, conformément à l'article 48 du présent traité;
e) en étant informés des demandes d'adhésion à l'Union conformément à l'article 49 du présent traité;
f) en participant à la coopération interparlementaire entre parlements nationaux et avec le Parlement européen, conformément au protocole sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne».
Ainsi, sont mises en place trois formes nouvelles d'intervention des parlements nationaux dans le fonctionnement de l'Union, tandis que l'information qui jusque là faisait seulement l’objet d’une simple pratique, devient un droit pour les parlements nationaux.
1. Le droit à l’information des parlements nationaux
Le protocole sur le rôle des parlements nationaux étend leur droit à l'information.
Les parlements nationaux sont désormais directement destinataires de l'ensemble des documents d'information de la Commission (Livres verts, Livres blancs, communications), ainsi que de tous les projets d'actes législatifs, qu'ils émanent de la Commission européenne ou d'un groupe d'Etats membres (la Commission européenne s'acquitte déjà de cette obligation depuis le 1er septembre 2006).
En outre, les ordres du jour et les procès-verbaux des réunions du Conseil sont également transmis directement et « dans les plus brefs délais » aux parlements nationaux qui sont aussi informés des demandes d'adhésion à l'Union ainsi que de tous les projets de révision des traités qui doivent leur être notifiés.
2. Les parlements nationaux sont associés à la prise de décision
A. Les parlements nationaux sont associés à la procédure de révision des traités
Le Traité de Lisbonne reprend la méthode retenue par la Convention pour la procédure de révision ordinaire des traités. Les parlements nationaux seront associés à l'élaboration des projets de révision des traités, même si la Conférence intergouvernementale composée des représentants des Etats membres reste l'institution souveraine in fine.
L'entrée en vigueur de la décision du Conseil européen modifiant tout ou partie des dispositions du traité concernant les « politiques internes », suppose son « approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives ».
Par ailleurs, chaque parlement national dispose d'un droit d'opposition en cas d'utilisation d'une « clause passerelle », c’est-à-dire en cas de passage d’une procédure législative spéciale à une procédure législative ordinaire ou d’un vote à l’unanimité à un vote à une majorité qualifiée.
B. L'association des parlements nationaux à l'espace de liberté, de sécurité et de justice
Plusieurs dispositions concernent l'association des parlements nationaux à la mise en place de l'espace de liberté, de sécurité et de justice:
- les parlements nationaux sont informés des conditions dans lesquelles les autorités des États membres ont mis en œuvre les politiques de l'Union en matière d'espace de liberté, de sécurité et de justice ainsi que des travaux du comité permanent chargé de favoriser la coordination entre les autorités des États membres en matière de sécurité intérieure ; ils sont également associés à l'évaluation des activités d'Eurojust et au contrôle des activités d'Europol;
- en outre, les parlements nationaux ont un droit d'opposition (comme dans le cas des « clauses-passerelles ») lorsque le Conseil détermine la liste des aspects du droit de la famille ayant une incidence transfrontalière et donc sur lesquels l'Union peut légiférer.
Ainsi, par exemple, l’Union a récemment légiféré sur une matière très sensible : le droit des successions. En effet, après une proposition de règlement relatif au droit des successions et à la création d'un « certificat successoral européen», adoptée par la Commission le 9 octobre 2009 et précisée par la communication de la Commission en date du 15 décembre 2011 intitulée « Lever les obstacles transfrontaliers liés aux droits de succession au sein de l'Union » qui intégrait les aspects fiscaux des successions, un règlement de l’UE sur les successions a été adopté le 4 juillet 2012 qui entrera en vigueur le 17 août 2015.
Mais c’est dans l’exercice de leur pouvoir de contrôle que les parlements nationaux ont l’action la plus significative sur le droit de l’intégration européenne.
3. Le contrôle du respect du principe de subsidiarité
Le principe de subsidiarité, abordé pour la première fois dans le rapport Spinelli adopté par le Parlement européen le 14 février 1984, s'est imposé dans le Traité de Maastricht.
L'article 5 du traité instituant l'Union Européenne le définit en ces termes : « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée être mieux réalisés au niveau communautaire».
Un autre principe lui est étroitement associé, le principe de proportionnalité, d'après lequel « l'action de la Communauté n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité».
L'inclusion du principe de subsidiarité dans les traités, avec force juridique, n'a cependant pas eu d'effets notables sur la législation européenne.
Aussi la « Convention sur l'avenir de l'Europe » avait-elle proposé de créer un mécanisme de contrôle du respect de ce principe par les parlements nationaux.
Cette proposition a été reprise dans le Traité constitutionnel ainsi que par le Traité de Lisbonne entré en application le 1er janvier 2009.
Ce mécanisme de contrôle, est décrit dans un protocole sur « l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité ». Le mécanisme comprend deux étapes :
- lorsqu’un tiers des parlements nationaux (un quart seulement pour les textes relatifs à la coopération policière et à la coopération judiciaire en matière pénale) considère, par un “avis motivé” adressé à la Commission dans les huit semaines à compter de la transmission d'un projet d'acte législatif qu’une proposition législative est non conforme au principe de subsidiarité, la Commission doit réexaminer le texte (carton jaune). Si elle décide toutefois de le maintenir, elle doit formuler un avis motivé aux Conseil et Parlement européens expliquant sa position ;
- lorsqu’une majorité des parlements nationaux considère la proposition non conforme, la Commission doit réexaminer le texte (carton orange). Si elle décide néanmoins de le maintenir, elle doit soumettre son avis, ainsi que les avis des parlements nationaux, aux Conseil et Parlement européens. Si 55% des membres du Conseil ou une majorité des suffrages exprimés au Parlement européen va dans le même sens que les parlements nationaux, la proposition de la Commission est abandonnée.
Enfin, un texte adopté peut faire l’objet d’un recours devant la Cour de Justice de l’Union européenne pour violation du principe de subsidiarité (carton rouge). Le recours doit être formellement présenté par le gouvernement d'un État membre, l'auteur véritable du recours restant le parlement national ou une chambre de celui-ci.
Ce contrôle a été pour la première fois mis à propos d’une proposition de règlement, présentée par la Commission en mars 2012 qui indiquait que le droit de grève n’est pas absolu et que son exercice peut être limité par la liberté d’installation des employeurs [2]. Cette proposition s’est heurtée, pour la première fois depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, à l’opposition de douze parlements nationaux qui ont soumis chacun à la Commission un avis motivé (reasoned opinion) afin de déclencher le mécanisme dit du "carton jaune". Suite à cette initiative la proposition a été retirée par Commission européenne [3].
Cette décision de la Commission illustre le rôle accru des parlements nationaux dans la construction européenne tel que défini par le Traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009. Toutefois, ce contrôle reste modeste en matière fiscale.
II – Le rôle modeste des parlements nationaux dans l’intégration fiscale européenne
Afin de faciliter le contrôle des parlements européens sur l’application des traités, des mécanismes de concertation, entre les parlements eux-mêmes et entre les parlements et la Commission, ont été institués. Cette concertation, efficace dans certains domaines comme la sécurité ou les libertés, ne porte guère sur la fiscalité.
1. La concertation entre les parlements nationaux
Cette participation des parlements nationaux à l’élaboration et la mise en œuvre de la législation de l’UE se concrétise par l’institutionnalisation des échanges entre ces parlements dans le cadre de la COSAC (Conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l’Union – conferenza degli organi parlementari specializzati per gli affari dell’ Unione) [4]. Cette institution créée à l’initiative de Laurent Fabius en 1989 se justifie notamment par le sentiment qu’avaient les parlements nationaux, à la suite de l’introduction en 1979 des élections directes pour les députés européens, de perdre le contact avec la législation communautaire. Jusqu’en 1979, en effet, les délégations au Parlement européen étaient nommées par les parlements nationaux, et les parlementaires pouvaient être à la fois membres d’un parlement national et du Parlement européen.
La COSAC, composée de 6 membres de chaque parlement national et de 6 membres du Parlement européen se réunit deux fois par an. Le 1er protocole sur les parlements nationaux reconnaît le rôle de la COSAC. Celle-ci peut soumettre toute contribution qu'elle juge appropriée aux institutions de l'Union, notamment sur la base de projets d'acte que des représentants de gouvernements des Etats membres peuvent décider d'un commun accord de lui transmettre en raison de la nature de la question.
En particulier, la COSAC peut examiner toute proposition d'acte législatif en relation avec la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice (en liaison avec les droits et les libertés des individus). Ses observations sont transmises au Parlement européen, au Conseil et à la Commission.
La COSAC peut également adresser à ces trois institutions "toute contribution qu'elle juge appropriée sur les activités législatives de l'Union, notamment en ce qui concerne l'application du principe de subsidiarité, l'espace de liberté, de sécurité et de justice, ainsi que les questions relatives aux droits fondamentaux". Ainsi, les parlements nationaux sont amenés à jouer un plus grand rôle dans le processus décisionnel et pourront contribuer à l'élaboration des actes législatifs de l'Union européenne.
Outre, ces échanges institutionnalisés, les parlements nationaux entretiennent un dialogue politique permanent avec la Commission qui est relaté dans un rapport annuel publié par la Commission depuis 2005. Ce dialogue est d’autant plus étroit et approfondi que la plupart des parlements nationaux envoient des représentants permanents à Bruxelles.
2. Les parlements nationaux et la mise en œuvre du droit fiscal européen
Toutefois, lorsqu’on consulte les comptes rendus des réunions de la COSAC dont la 48e conférence s’est tenue en octobre 2012 à Nicosie ou les rapports de la Commission relatifs aux relations avec les parlements nationaux, on s’aperçoit que les questions fiscales ne sont pratiquement pas abordées. Ce sont surtout les problèmes liés à la sécurité commune, la justice et les affaires intérieures ou encore l’environnement et la croissance durable ou le marché unique numérique qui font l’objet de débats au sein de la COSAC et peuvent susciter l’ouverture d’un dialogue entre les parlementas nationaux et la Commission.
Ce n’est que dans le rapport publié en 2011 par la Commission qu’il est fait mention à propos de la proposition de directive relative à l’institution d’une assiette commune consolidé de l’impôt sur les société (Common Consolidated Corporate Tax Base- CCCTB) d’un grand nombre d’avis (17 en tout) dont 9 avis motivés (reasoned opinions) formulés dans le cadre du mécanisme de contrôle de la subsidiarité par les parlements nationaux [5].
Par ailleurs, la même année, la proposition de la Commission de réviser la directive sur la taxation de l’énergie a suscité une dizaine d’avis des parlements nationaux soulignant, pour les uns, que les propositions de la Commission pourraient mettre en péril la compétitivité de l’UE et pour les autres les charges fiscales et administratives ainsi que le risque d’impact social négatif que cette initiative serait susceptible d’entraîner.
Enfin, la nouvelle proposition de directive qui a été présentée le 14 février 2013 par la Commission et qui vise à instituer une taxe sur les transactions financières dans le cadre d’une coopération renforcée entre 11 Etats de l’Union, suscitera certainement de nouveaux “avis motivés”, notamment de la part du Royaume-Uni qui déjà les prépare [6].
3. Le dépérissement du principe du consentement de l’impôt dans l’Union
Cependant, le pouvoir de contrôle du respect du principe de subsidiarité dont disposent les parlements nationaux, n’assure qu’une participation minimale de ces assemblées représentatives à l’élaboration de la loi fiscale européenne.
Or, on le sait, le vote de la loi fiscale par le parlement qui permet d’assurer le consentement de l’impôt par les représentants des citoyens-contribuables est, depuis la Magna Carta de 1215, le fondement des démocraties parlementaires représentatives dont se réclame toutes les démocraties modernes et qui figure parmi les principes fondateurs de l’Union.
Certes, il est vrai que ce principe du consentement de l’impôt par le parlement, s’avère déjà limité actuellement dans l’ordre juridique interne par différents facteurs tels que la prééminence de l’exécutif, la technicité de la matière fiscale, l’exigence de rapidité et d’adaptabilité de l’interventionnisme fiscal. De plus, le législateur fiscal national n’est généralement plus souverain dans l’élaboration de la loi d’impôt : la loi fiscale étant soumise, dans la plupart des Etats, à un double contrôle de constitutionnalité “a priori” et a posteriori”, sans préjudice du contrôle de “conventionalité” exercé par les juridictions de droit commun et qui est particulièrement strict dans les matières fiscales régies par les directives et les règlements européens.
Dans l’ordre juridique européen, ce principe du consentement de l’impôt par un parlement élu est quasiment inconnu. En effet, dans le cadre de l’intégration fiscale positive qui s’exerce à travers l’harmonisation fiscale, comme dans celui de l’intégration fiscale négative qui vise à limiter les mesures fiscales préjudiciables à l’exercice des libertés fondamentales, les conditions de mise en œuvre du droit fiscal européen ignorent le consentement de l’impôt par les parlements nationaux, sans d’ailleurs que cette exigence du consentement fiscal soit transférée au niveau du Parlement européen.
A. Les parlements nationaux : chambres d’enregistrement de la fiscalité harmonisée
Ainsi, dans l’application des directives fiscales européennes, les parlements nationaux qui, en vertu de l’article 288 TFUE, ont l’obligation de les transposer de manière correcte et inconditionnelle sont tenus de se comporter en chambre d’enregistrement. De plus, “la nature obligatoire des directives implique l’obligation de respecter les délais qu’elles fixent... pour leur exécution” [7]. Cette obligation s’exécute sous le contrôle du juge national, juge de droit commun du droit communautaire, qui peut être saisi par un particulier ou une entreprise. Le contribuable pouvant aussi provoquer le recours en manquement en adressant une plainte à la Commission. Le préjudice causé à un particulier par la non-transposition d’une directive oblige, sous certaines conditions, l’Etat membre fautif à le réparer.
En outre, plus largement, toute initiative législative d’un parlement national qui risquerait d’empiéter sur le domaine réservé de l’harmonisation peut être déférée au juge pour incompatibilité avec le droit communautaire. De ce point de vue, le procès fait à l’imposta regionale sulle attivita produttive (IRAP) qui avait été, dans un premier temps, déclarée incompatible avec le droit communautaire par les avocats généraux près la CJCE [8] en raison de sa proximité avec la TVA est resté en mémoire, tout comme le suspense portant sur une centaine de milliards d’euros qui a suivi ces conclusions, avant que la Cour ne tranche finalement en faveur de la compatibilité [9]. Enhardis par cet épisode, les contribuables français essayèrent, à leur tour, de faire condamner la taxe sur les salaires pour les mêmes motifs [10]. C’est dire si le législateur national est assujetti au strict contrôle communautaire, même quand il instaure, comme c’est le cas pour l’IRAP, un impôt direct non répercutable sur la valeur nette de la production des entreprises [11].
B. Les parlements nationaux contraints par le contrôle de l’exercice des libertés européennes.
Mais, plus largement encore, c’est dans le domaine de l’intégration fiscale négative que le pouvoir fiscal des parlements nationaux se trouve amoindri, à tel point que l’activité fiscale des parlements nationaux se trouve pratiquement mise sous tutelle, dès lors que les lois fiscales nationales risquent de porter atteinte à l’exercice des libertés garanties par le traité et notamment la libre circulation des personnes, des services et des capitaux.
Ainsi, même si une norme fiscale nationale entend lutter contre la fraude fiscale, elle sera censurée par la CJUE dès lors qu’elle serait susceptible d’interdire, gêner ou rendre moins attrayant l’exercice des libertés garanties par le traité. Par exemple, a été jugée incompatible avec le traité, une législation telle que celle concernant les “controlled foreign companies” qui permet à un Etat de réintégrer dans les bases d’imposition d’un contribuable national les gains qu’il réalise dans un pays à fiscalité privilégiée par l’intermédiaire d’une société qu’il contrôle [12].
De même, les législations du type des “exit tax” qui permettent d’imposer les contribuables lors du transfert de leur domicile fiscal dans un autre Etat afin d’éviter l’imposition dans leur pays d’origine [13], sont prohibées à raison de l’entrave qu’elles peuvent apporter aux libertés européennes de circulation.
Enfin, depuis quelques années, le contrôle de l’activité fiscale des parlements nationaux a été encore renforcé, par le recours des autorités européennes à la réglementation des aides d’Etat. En effet, on sait que les projets tendant à instituer ou à modifier une aide d’Etat doivent être soumis à la Commission qui se prononce sur leur compatibilité ou incompatibilité avec le traité (TFUE, art. 107 à 109).
En appliquant aux avantages fiscaux ce régime d’autorisation préalable prévu pour les aides directes de l’Etat, la Commission dépossède les parlements nationaux de leur pouvoir le plus fondamental en méconnaissance du principe du consentement de l’impôt et s’arroge “une prérogative que les Etats membres n’ont ,sans doute, jamais entendu lui accorder : la prérogative de consentir l’impôt... dès lors qu’elle peut autoriser ou refuser les réformes fiscales nationales avant même leur mise en œuvre” [14].
Cette captation par la Commission et le juge européen du pouvoir fiscal des parlements nationaux est d’autant plus grave que lorsqu’un avantage fiscal a été illégalement accordé par un Etat (avantage non déclaré ou accordé en dépit d’une décision d’incompatibilité), le montant de l’aide doit être récupéré auprès des contribuables bénéficiaires.
Ainsi est assuré le respect de ces règles qui non seulement placent le législateur national sous tutelle mais encore l’obligent à se déjuger avec les conséquences financières que cela comporte, moins pour l’Etat que pour les bénéficiaires de l’aide tenus de rembourser, avec intérêt de retard, une aide qu’ils croyaient définitive.
III- Conclusion : comment restaurer le pouvoir fiscal des parlements nationaux ?
Pour éviter de remettre en cause les prérogatives des parlements nationaux en portant atteinte au principe du consentement de l’impôt, il a été proposé d’exempter la fiscalité du régime des aides d’Etat, mais une telle politique risquerait de constituer “une régression dans le bon fonctionnement du marché intérieur” européen [15].
Comment pourrait-on restaurer le principe démocratique du consentement de l’impôt par les parlements nationaux sans cependant nuire à la poursuite de l’intégration européenne? Telle est la question que pose en définitive, l’examen du rôle des parlements nationaux dans l’intégration fiscale européenne.
La solution à apporter à cette question n’est pas technique mais politique. Il s’agirait en fait que les parlements nationaux acceptent une répartition des compétences fiscales entre les Etats membres et l’Union, c’est-à-dire entre les parlements nationaux et le Parlement européen qui, élu au suffrage universel, pourrait consentir démocratiquement un véritable impôt européen, destiné à couvrir, tout ou partie, des besoins financiers de l’Union.
Les parlements nationaux conserveraient leur entière compétence pour les prélèvements strictement nationaux et pourraient même être associés au vote d’un l’impôt européen par le biais de l’élection de leurs représentants au sein d’une chambre des Etats-membres, instituée auprès du Parlement européen élu au suffrage universel, comme cela avait été envisagé lors de la Convention pour l’avenir de l’Europe.
Par l’institution d’un impôt européen, consenti par le Parlement européen représentant les citoyens de l’Union c’est, au-delà de l’harmonisation fiscale réalisée dans le cadre de la TVA notamment, une véritable intégration fiscale européenne qui serait mise en œuvre, réalisant le vœux de démocratie fiscale formulé voici bientôt quinze ans par notre collègue Frans Vanistendael: “No European taxation without European Representation!” [16].
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* Come citare questo articolo: P. BELTRAME, La fiscalità nell’integrazione economica e giuridica europea: il ruolo dei Parlamenti, in Studi Tributari Europei, 2016, n. 1, (ste.unibo.it), pp. 76-92, DOI: https://doi.org/10.6092/issn.2036-3583/7831.⏎
[1] Pierre Beltrame, Professeur émérite – Aix-Marseille-Université (AMU).⏎
[2] Proposition de règlement du conseil relatif à l’exercice du droit de mener des actions collectives dans le contexte de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services, COM/2012/0130 final - 2012/0064 (APP)⏎
[3] “Europe : la Commission contrée par les Parlements nationaux”, 21 sept. 2006, www.vie-publique.fr⏎
[4] COSAC, “Histoire de la COSAC”, nov. 2012, www.cosac.eu⏎
[5] European Commission, “Annual report 2011 on relations between the European Commission and national Parliaments », juin 2012, p. 5 et 6.⏎
[6] Voir “Financial Transaction Tax- Letter to RT Hon Greg Clark MP, Financial Secretary to the Treasury”, 27 March 2013, EU Sub Committee A, www.parliament.uk.⏎
[7] CJCE, 22 sept.1976, aff. 10/76, comm. c/ Italie.⏎
[8] Concl. C. Stix-Hackl, 14 mars 2006, sur CJCE, aff. C-475/03, Banca Popolare di Cremona.⏎
[9] CJCE, grande ch., 3 oct. 2006, aff. C-475/03, Banca popolare di Cremona.⏎
[10] CE, 21 déc. 2007, n° 295646, SASP Football-Club de Metz, concl. P. Collin, note O. Fouquet.⏎
[11] O.Fouquet, “Un impôt direct n'est pas une taxe d'effet équivalent à la TVA”, Droit fiscal, n° 48, 30 nov. 2006, comm. 754.⏎
[12] CJCE, 12 sept. 2006, aff.C-196/04, Cadbury Schweppes.⏎
[13] CJCE, 11 mars 2004, aff.C-9/02, Lasteyrie du Saillant.⏎
[14] A. Maitrot de la Motte, Droit fiscal européen, Bruylant, Bruxelles, 2013, p.237.⏎
[15] A. Maitrot de la Motte, op.cit. p. 311.⏎
[16] F. Vanistendael, “No European taxation without European Representation”, EC Tax Review, 2000, n° 3, p. 143.⏎