Studi Tributari Europei. Vol.14 (2024), II.1 – II.9
ISSN 2036-3583

Fiscalité de l’entreprise familiale en France

François HervouëtUniversité de Poitiers (France)
professeur émérite, Faculté de Droit

Publié: 2025-04-10

Taxation of the family business in France

Résumé

Family businesses, which in France we call small businesses or sole proprietorships, can take many forms; these fall into a status that presupposes the creation of a legal entity or the continued direct exploitation by the natural person of the entrepreneur. The choice between these different possibilities depends on the entrepreneur based on multiple 15 familial, economic, social and other considerations; among these, the tax system plays its role, which is not decisive but important. Indeed, the tax due depends on the status maintained, particularly for the taxation of profits, but also, less significantly, for VAT. Other taxes are little affect.

L’entreprise familiale, que l’on appelle petite entreprise ou entreprise individuelle en France, peut être revêtue de multiples formes ; celles-ci relèvent d’un statut qui suppose la création d’une personne morale ou la conservation de l’exploitation directe par la personne physique de l’entrepreneur. Le choix entre ces différentes possibilités dépend de l’entrepreneur en fonction de multiples considérations familiales, économiques, sociales et d’autres encore ; parmi elles, le régime fiscal joue son rôle, il n’est pas décisif mais important. En effet l’impôt dû est fonction du statut retenu, en particulier pour l’imposition du bénéfice, mais aussi, de façon moins marquante, pour la TVA. Les autres impôts sont peu impactés par le choix effectué.

Mots-clés: family business; legal forms; income tax; vat; other taxes.

1 Introduction

L’entreprise familiale en France, également appelée petite entreprise, se démarque par son statut juridique, comme par son régime fiscal, des grandes entreprises. En effet à côté de ces dernières dotées de la personnalité morale, telles que la société anonyme (SA) ou la société à responsabilité limitée (SARL), il existe une multitude de petites entreprises dotées ou non de la personnalité morale et exerçant la galaxie des activités industrielles, artisanales, agricoles, commerciales ou indépendantes qui constituent le tissu économique de la France. A l’évidence, le statut de SA ou de SARL ne leur est pas adapté le plus souvent et, pour ne pas s’en tenir prosaïquement à la gestion directe d’une activité sans personnalité morale, il a fallu faire preuve d’imagination pour innover et adopter des statuts qui forment la constellation des modalités d’organisation. Ce n’est pas que cette gestion directe, sans l’intermédiaire d’une personne morale, ne puisse pas être adoptée par un petit entrepreneur, et de fait elle l’est fréquemment, quel que soit le secteur d’activités. Par exemple pour ne citer que quelques corps de métier, nombre de médecins, d’architectes, de boulangers, de plombiers ou d’agriculteurs adoptent ce mode de gestion. Pourtant il présente des dangers dont le moindre n’est pas qu’un tel entrepreneur est susceptible, au moins jusqu’à une période récente, d’être responsable sur l’ensemble de son patrimoine des déficits qui pourraient apparaître ; qu’une semblable occurrence se produise et l’entrepreneur peut non seulement se retrouver ruiné, mais aussi criblé de dettes jusqu’à la fin de ses jours.

Aussi d’autres formes, plus respectueuses des intérêts patrimoniaux de l’entrepreneur et de sa famille, ont été établies par la loi. Lorsque l’on y regarde de plus près, on se rend compte qu’il existe un foisonnement de formes juridiques et qu’il n’est donc pas inutile de tracer quelques chemins au risque, sinon, de se perdre dans la jungle des possibilités. Cela est d’autant plus nécessaire que le régime fiscal applicable à ces différentes organisations varie selon la forme juridique qui a été retenue. Pour s’y retrouver, il faut donc distinguer les différentes formes juridiques que peut adopter une entreprise familiale ; cette recension permet de disposer d’un tableau, si ce n’est exhaustif, en tout cas permettant d’appréhender les différents choix qui s’offrent à un petit entrepreneur (I).

Mais s’il est nécessaire, cet inventaire ne suffit pas car le régime fiscal applicable à l’entreprise varie selon que telle ou telle forme juridique aura été adoptée. Par exemple pour ne s’en tenir qu’au bénéfice, celui-ci sera-t-il imposé au titre de l’impôt sur le revenu ou à celui de l’impôt sur les sociétés ? Cela sans compter que, pour chacun de ces impôts, l’assiette, la liquidation et le recouvrement peuvent suivre des règles différentes (II).

2 Une grande variété de formes juridiques…

S’il existe beaucoup de formes juridiques pour exercer une activité économique, toutes ne sont pas adaptées à l’entreprise familiale. Pour ce motif, je laisse de côté la SA (Société anonyme) et la SARL (Société à responsabilité limitée) dont les statuts entraînent l’adoption de règles juridiques, comptables et fiscales beaucoup trop lourdes pour permettre l’exploitation d’une entreprise familiale. Mais même dans cette hypothèse, il existe un grand nombre de sociétés commerciales, voire de sociétés civiles, que le petit entrepreneur peut choisir ; sans oublier qu’il peut aussi décider d’exercer l’activité en son nom propre, sans avoir recours à une personne morale.

Ainsi, si la SA et la SARL en tant que telles ne sont pas adaptées, le législateur a prévu des évolutions qui ne sont rien d’autres que des formes simplifiées de celles-ci et restent des sociétés commerciales (B) ; il s’agit de la SAS (société par actions simplifiée), ou de sa déclinaison la SASU (Société par actions simplifiée unipersonnelle), et l’EURL (Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée). Dans une autre logique, on peut y ajouter l’EI (Entreprise individuelle) ou le régime de la micro-entreprise qui ne disposent pas de la personnalité juridique mais qui permettent un aménagement du patrimoine personnel de l’exploitant. Mais si SAS, SASU et EURL sont des commerçants par nature et exercent donc nécessairement des activités commerciales, il n’en va pas de même pour les entreprises sans personnalité morale (A). Ce n’est pas leur nature mais l’activité qui détermine leur caractère commercial ou non : l’entrepreneur exerce une activité commerciale (entreprise du bâtiment, entreprise de vente de biens par exemple) et l’entreprise est commerciale ; l’entrepreneur exerce une activité libérale (médecin, avocat…) et l’entreprise n’est pas commerçante. Cette distinction a une incidence importante en matière fiscale.

Ainsi il est envisageable de ne pas être un commerçant tout en exploitant une entreprise familiale. Pour autant, l’exploitation directe de l’activité n’est pas un passage obligé, l’entrepreneur peut passer par l’intermédiaire d’une personne morale, mais alors civile et non commerciale (C), telle que la société civile de moyens (SCM) ou la société civile professionnelle (SCP).

2.1 La petite entreprise sans personnalité morale

2.1.1 L’EI (entreprise individuelle)

L’entreprise individuelle, également connue sous le nom d’entreprise en nom propre, ne dispose pas de la personnalité morale. Autrement dit, elle ne se distingue pas juridiquement de l’entrepreneur. Celui-ci exerce directement l’activité avec son propre patrimoine. De ce fait, même si plusieurs activités sont exercées par l’entrepreneur, il ne peut y avoir qu’une seule entreprise individuelle : une seule personne physique, donc une seule entreprise individuelle. Autre conséquence de l’absence de personne morale, l’entrepreneur est responsable sans limites des dommages qu’il peut causer du fait de son activité. C’est du moins ainsi que pendant longtemps le régime de l’entreprise était organisé. Cela en faisait la forme la plus dangereuse d’exploitation d’une activité en raison de cette unicité du patrimoine ; mais comme c’est aussi une forme très simple, elle est encore aujourd’hui très largement utilisée par les entrepreneurs familiaux : nul besoin d’élaborer des statuts et de s’y plier ; l’entrepreneur agit comme il l’entend sans avoir de comptes à rendre à autre que lui. « Je n’ai pas besoin de m’encombrer de toute cette paperasse à laquelle je ne comprends rien et qui ne sert à rien », entend-on souvent dans la bouche des petits entrepreneurs. Le législateur a entendu ces plaintes et a donc conservé cette forme d’exercice d’entreprise individuelle, tout en aménageant les règles de responsabilité sans limite afin de prendre en compte de son principal défaut pour l’entrepreneur…mais en y ajoutant quelques contraintes.

Cette modification est formalisée par l’article L.526-6 du Code de commerce1 qui dispose que « l’entrepreneur individuel affecte à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel ». Ce sont tous les biens nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle qui peuvent désormais être distincts des biens affectés à sa vie personnelle et qui peuvent seuls être saisis en cas de dette de l’entreprise. Pour que cela se produise, deux formalités doivent être effectuées : la dénomination de l’entreprise doit indiquer qu’elle dispose de ce statut à responsabilité limitée et une inscription doit être faite sur un registre officiel (article L.526-7 du Code de commerce). Le législateur a en outre institué un régime encore plus simplifié pour les très petites entreprises, en particulier au début de leur existence ; c’est le régime auquel peut recourir le micro-entrepreneur.

2.1.2 La micro-entreprise

La micro-entreprise est une sous-catégorie de l’entreprise individuelle instituée par le législateur afin de répondre aux besoins de personnes qui franchissent le pas de l’activité exercée comme un violon d’Ingres à une activité véritablement professionnelle. Elle doit ainsi lui permettre de dégager un minimum de revenu dès les premiers mois et donc ne supporter que des charges administratives et financières faibles. Le champ empruntable par l’entrepreneur est large, mais cependant encadré : activités commerciales ou non commerciales (à l’exception des professions libérales réglementées, des artistes et auteurs et de celles relevant de la TVA immobilière, ainsi que des activités agricoles) sous réserve que le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas 77 000 € HT ; mais aussi activités de vente de marchandises, de vente à consommer sur place et de fourniture de logement (mais hors location meublée autre que meublé de tourisme ou chambre d’hôte) et avec un chiffre d’affaires annuel limité à 188 700 € HT.

Pour ces raisons, si le statut de micro-entrepreneur a été imaginé spécialement pour le démarrage d’une activité professionnelle, il n’y est pas nécessairement le mieux adapté ; en particulier en raison de la modicité du chiffre d’affaires, il est pratiquement impossible d’employer un salarié. C’est un problème dans le cas d’une entreprise familiale dans laquelle on souhaiterait faire travailler un membre de sa famille.

Le régime est toutefois protecteur : une simple déclaration doit être faite auprès des services de l’État ; patrimoine professionnel et patrimoine personnel sont automatiquement distincts ; la comptabilité est tenue sous la simple forme d’un livre recettes - dépenses.

2.2 L’entreprise familiale à personnalité morale commerciale

2.2.1 La SAS (société par actions simplifiée) et la SASU (société par actions simplifiée unipersonnelle)

Les régimes de la SAS et celui de la SASU sont organisés par les articles L. 227-1 à 227-20 du Code de commerce. La société par actions simplifiée est essentiellement une société anonyme, mais ses statuts ont été aménagés afin de les alléger et de la rendre ainsi plus accessible à un entrepreneur familial pour peu que plusieurs membres de la famille soient partie prenante (SAS), voire le seul entrepreneur (SASU).

Deux associés (personne physique ou personne morale) suffisent à créer une SAS et il n’y a pas de nombre maximum d’actionnaires. Il faut un apport en capital, mais celui-ci peut être faible (1 €) et effectué en numéraire, en nature, voire en industrie (savoir-faire par exemple). Comme dans toute société commerciale, la responsabilité des associés est limitée à leur apport.

Si les associés en tant que tels voient leur responsabilité limitée, il ne faut pas en déduire pour autant que les personnes victimes d’un dommage causé par l’activité de la SAS ne puissent être que modestement indemnisés du préjudice subi. En effet le président, gérant de la société est responsable civilement et pénalement de son action en cas de faute de gestion. Il doit être désigné pour l’administrer et la gérer et est assimilé à un salarié. Il peut être accompagné d’un directeur général mais la désignation de celui-ci n’est pas obligatoire ; ce sont les statuts qui en décident. De même fixent-ils la répartition des pouvoirs pour prendre les décisions entre le président et les associés, sous réserve que certaines décisions doivent être prises collectivement par les associés : changement d’objet social ou augmentation du capital dans la mesure où elles touchent directement à la raison de la société.

La rédaction des statuts est d’ailleurs marquée par une grande souplesse, la loi laissant une liberté importante aux fondateurs. Tout ceci explique que cette forme de société soit en pratique très utilisée lorsqu’il s’agit de recourir à une personne morale pour exercer une activité. Elle peut cependant se révéler encore lourde pour une entreprise à proprement parler individuelle.

C’est pourquoi le législateur a prévu une forme encore plus simplifiée, la SASU. Il s’agit d’une SAS et elle reprend les règles applicables à celle-ci, mais elle ne comprend qu’un seul associé, qui peut être une personne morale ou une personne physique. Encore plus que la SAS proprement dite, c’est évidemment cette configuration qui retient l’attention des entrepreneurs familiaux. De fait, elle obtient un grand succès et représente environ les 2/3 des nouvelles sociétés créées chaque année.

2.2.2 L’EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée)

Une loi du 11 juillet 19852 a institué l’EURL. Une comparaison rapide de celle-ci et de la SASU amène à s’interroger sur la pertinence de l’existence de ces deux formes de gestion d’une activité commerciale, tant les ressemblances entre elles sont fortes. Comme pour la SASU, une seule personne (physique ou morale) peut créer une EURL en faisant un apport au capital minimum (1 €) en numéraire, nature ou industrie. On a noté que la responsabilité de l’apporteur est limitée au montant de son apport avec la SASU ; il en va de même s’il s’agit d’une EURL. On peut poursuivre en remarquant que le gérant, disposant d’un statut de salarié, est responsable civilement et pénalement. C’est généralement le propriétaire de la structure, mais il peut être désigné par celui-ci pour l’administrer et la gérer. Il peut aussi être accompagné de collaborateurs si les statuts en décident ainsi.

Malgré ces similitudes, il existe des différences entre SASU et EURL. Cela tient en premier lieu à ce que la première est un dérivé de la société anonyme, alors que la seconde trouve son origine dans la simplification des règles applicables à la société à responsabilité limitée. Il en résulte d’abord que les statuts répondent à des exigences différentes selon que l’on se tourne vers l’une ou l’autre forme d’organisation de l’entreprise. Si la souplesse laissée par la loi est grande lorsqu’un entrepreneur entend créer une SASU, il est davantage contraint si son choix se porte sur une EURL ; cela est parfois ressenti comme un inconvénient entravant la liberté de l’entrepreneur, mais quelquefois celui-ci y trouve malgré tout son compte car la rédaction s’en trouve facilitée. Il est alors en mesure de rédiger lui-même les statuts en s’appuyant sur des modèles pré-établis plutôt que de se tourner vers un professionnel, évitant ainsi les frais qui en découlent. Enfin, si les conditions sont remplies, l’EURL, bien qu’elle dispose de la personnalité morale, et contrairement à la SASU, peut opter pour le régime de la micro-entreprise (voir ci-dessus). De toutes ces différences, il en résulte des conséquences fiscales, comme cela sera présenté par la suite.

2.2.3 L’entreprise familiale à personnalité morale civile

La forme commerciale de la personne morale n’est pas adaptée à toutes les activités économiques ; en effet certaines d’entre elles sont exercées par des professionnels indépendants ayant une activité libérale (professions médicales ou juridiques par exemple). Il est alors possible d’opter pour une société civile, telle que la société civile de moyens (SCM)3 ou la société civile professionnelle (SCP).4 Je les cite pour mémoire car, même si ce sont des formes qui sont adaptées à une entreprise familiale, elles ne concernent pas directement le sujet traité ici, car elles ne sont pas soumises elles-mêmes aux impôts et bénéficient de la « transparence fiscale », ce qui signifie que ce sont les membres de la société qui sont soumis directement aux impôts comme dans une entreprise individuelle.

Mais c’est surtout dans le domaine agricole que la possibilité de passer par l’intermédiaire d’une société civile est la plus diverse et la plus utilisée. Cela tient certes à la spécificité de la profession, mais surtout à l’importance politique et culturelle, plus qu’économique, qu’elle revêt en France ; il s’agit de ménager un secteur qui, malgré sa diversité, représente un important lobby. Le législateur a ainsi permis la création de regroupements spécifiques à la profession ; on y retrouve le GAEC5 (Groupement agricole d’exploitation en commun), l’EARL6 (Exploitation agricole à responsabilité limitée), le GFA7 (Groupement foncier agricole) et la SCEA8 (Société civile d’exploitation agricole).

La grande diversité de formes permet une importante souplesse d’exploitation afin de permettre à chaque agriculteur d’adopter la formule qui lui convient le mieux. Cependant, je ne les cite que pour mémoire car ce sont en réalité des formes dérivées des sociétés civiles ordinaires, adaptées aux spécificités du monde agricole. Comme celles-ci, elles bénéficient de la « transparence fiscale » ; ce sont donc les associés qui sont soumis à l’impôt et non les regroupements.

3 …entraînant une grande diversité de régimes fiscaux

Les charges auxquelles l’entrepreneur est assujetti sont importantes, qu’il s’agisse de sa propre rémunération ou de celle de ses éventuels salariés, du paiement de ses fournisseurs, de la facturation de ses clients, de ses charges sociales ou encore de ses impôts. Parmi toutes ces charges, seules les dernières nous intéressent ; il ne s’agit donc pas de s’intéresser à l’ensemble des prélèvements obligatoires, y compris les prélèvements sociaux, mais seulement aux impôts.

Ceux-ci sont nombreux ; on y retrouve en particulier l’imposition sur les bénéfices (A) et la TVA (B), mais d’autres impôts doivent également être pris en compte (C). Le choix de la structure d’exercice de l’activité a une incidence considérable sur ces impositions et il est donc nécessaire de les examiner les uns après les autres en prenant en compte le type de structure qui supporte leur charge.

3.1 Les impôts sur les bénéfices

Quelle que soit la forme juridique adoptée, l’activité de la petite entreprise familiale vise à réaliser un profit et il n’est donc pas surprenant que le bénéfice réalisé soit soumis à l’impôt. Mais d’une part, le bénéfice peut être de nature différente selon la catégorie, que l’on appelle également cédule, dans laquelle l’activité entre (1) et d’autre part une fois l’assiette déterminée, le régime d’imposition peut varier (2).

3.1.1 Les cédules du bénéfice

Le bénéfice est le fait générateur de l’impôt, mais le régime qui permet l’établissement de son assiette varie selon la cédule à laquelle il s’applique. En ce domaine, la distinction fondamentale est celle qui fait rentrer le bénéfice dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) ou celle des bénéfices non commerciaux (BNC), mais il existe aussi une catégorie propre aux bénéfices agricoles (BA).

Comme leur nom l’indique, les BIC sont réalisés par les commerçants, les BNC par des personnes qui pratiquent une profession qui relève du domaine libéral et les BA par les exploitants agricoles, dans tous les cas quel que soit le statut, personne morale ou entrepreneur individuel, choisi pour exercer leur activité. Cela ne signifie pas pour autant que ce statut est sans importance, car selon le choix qui a été fait, le bénéfice industriel et commercial peut être frappé par l’impôt sur les sociétés (IS) ou par l’impôt sur le revenu (IR). Quant à eux, le BA et le BNC relèvent en principe de l’impôt sur le revenu, mais dans certaines conditions, l’entrepreneur peut renoncer à l’une ou l’autre de ces cédules et faire le choix de l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés.

3.1.2 Impôt sur le revenu ou impôt sur les sociétés

L’imposition des bénéfices, de quelque nature qu’ils soient, à l’impôt sur le revenu ou à celui sur les sociétés dépend de plusieurs facteurs : la nature de la cédule (BIC, BNC, BA), celle de la société et éventuellement le choix effectué par l’entrepreneur familial. C’est dire que le régime qui en découle est complexe et tortueux. Je vais essayer d’y mettre un peu de clarté.

Le premier élément à prendre en considération est la cédule. En principe BNC et BA sont soumis à l’impôt sur le revenu, mais diverses exceptions sont possibles au profit de l’impôt sur les sociétés. Les BIC relèvent tantôt de l’IR, tantôt de l’IS en application de critères dont certains sont commandés par les textes et d’autres relèvent du choix fait par la petite entreprise. Avant de poursuivre davantage dans cette exploration, sans doute faut-il rappeler que l’impôt sur le revenu est un impôt progressif dont le taux varie en fonction du montant du revenu, tandis que l’impôt sur les sociétés est un impôt proportionnel dont le taux est donc fixe. En effet cette diversité de liquidation de chacun de ces deux impôts a une grande importance lorsque le contribuable a le choix entre eux.

  1. Il faut toutefois souligner que la micro-entreprise n’est pas soumise à proprement parler à l’imposition des bénéfices, qu’ils relèvent de l’IR ou de l’iS. Le régime de la micro-entreprise dépend en effet du chiffre d’affaires réalisé et non du bénéfice dégagé ; il repose sur un « versement forfaitaire libératoire » qui nécessite plusieurs conditions pour en profiter (outre celles déjà examinées pour pouvoir être qualifié de micro-entrepreneur, le « revenu fiscal de référence », comprenant également les ressources du contribuable provenant d’autres activités de celui-ci ne doit pas dépasser un montant déterminé9). Ce versement libératoire est calculé sur la base de la déclaration de recettes pour une année déterminée. Le chiffre d’affaires ainsi déterminé est affecté d’un impôt de 1% à 2,2% selon l’activité ayant permis de le dégager.10

  2. L’entreprise individuelle, au sens où elle a été déterminée précédemment, relève de l’impôt sur le revenu, qu’il s’agisse de BIC, de BNC ou de BA,11 voire d’une combinaison de deux ou plusieurs de ces cédules. Il est en effet possible pour un entrepreneur d’exercer à titre individuel plusieurs activités dont certaines ont le caractère commercial et d’autres non. Il lui faut alors distinguer les revenus qui relèvent de l’une ou l’autre catégorie, les règles de détermination de ceux-ci variant selon la cédule au titre de laquelle ils ont été perçus. La tâche peut être compliquée en pratique, ce qui peut conduire l’entrepreneur à abandonner le statut d’entreprise individuelle au profit d’une personne morale. D’autres considérations peuvent l’amener à faire le même choix ; en particulier si le bénéfice devient élevé, cette modification de statut peut être judicieuse afin de se tourner vers une structure juridique relevant de l’impôt sur les sociétés.12 En effet, il est alors soumis à un impôt proportionnel et échappe à la progressivité de l’impôt sur le revenu. Si l’entrepreneur veut choisir l’impôt sur les sociétés, il doit donc changer de statut au profit de la constitution de l’exercice de l’activité par une personne morale commerciale.

  3. L’entreprise familiale à personnalité morale commerciale peut se constituer sous forme de SASU ou d’EURL. Si comme on l’a vu, les deux modalités sont juridiquement proches, les règles fiscales sont différentes au moins dans leur principe .En effet, la SASU relève de plein droit du régime (proportionnel) de l’impôt sur le sociétés, alors que l’EURL dépend de celui (progressif) de l’impôt sur le revenu eu titre des BIC ou des BNC. Mais pour l’une comme pour l’autre, il est envisageable d’échapper à ce régime et de choisir celui de l’impôt sur le revenu pour la SASU et celui de l’impôt sur les sociétés pour l’EURL. Certaines conditions doivent cependant être remplies. C’est ainsi que la SASU qui ne souhaite pas être soumise à l’impôt sur les sociétés, peut opter pour l’imposition des sociétés de personne et donc utiliser la technique de la « transparence fiscale » qui conduit à ce que c’est l’associé unique qui est imposé au titre de l’impôt sur le revenu au lieu de la société.13 Des considérations non fiscales peuvent conduire à effectuer ce choix mais pour s’en tenir à l’objet de cette étude, il suppose que le taux payé au titre de cet impôt soit moins élevé que celui existant dans le cas de l’impôt sur les sociétés (25%), c’est-à-dire que le bénéfice soit relativement faible. Le cas est d’autant plus rare que la SASU dispose d’une autre option : conserver le régime de l’impôt sur les sociétés, mais au taux de 15% ; pour pouvoir faire ce choix, la SASU ne doit pas réaliser un bénéfice supérieur à 42 500 € par exercice annuel.

    A l’inverse, l’EURL peut, par exception, relever de l’impôt sur les sociétés. C’est la situation qui trouve application si l’associé unique est lui-même une personne morale commerciale. En outre, lorsque l’associé unique est une personne physique, il est envisageable d’opter pour l’impôt sur les sociétés. Le choix, limité ici à la seule matière fiscale, se fait dans des conditions symétriques à celles utilisées par la SASU : tout est affaire du montant du bénéfice dégagé ; est-il plus intéressant de relever du régime progressif de l’impôt sur le revenu, ce qui est l’option retenue si le bénéfice est faible ; ou vaut-il mieux se décider pour l’impôt sur les sociétés dans l’hypothèse inverse ?

    Il faut aussi ajouter que l’EURL a également la possibilité de se tourner vers le régime de la micro-entreprise pour peu qu’elle remplisse les conditions de cette préférence.

  4. L’entreprise familiale à personnalité morale civile n’est pas assujettie à un impôt sur les bénéfices. En effet, comme il a déjà été indiqué, elle relève du régime de la « transparence fiscale ». La conséquence en est que les bénéfices qu’elle réalise sont distribués aux associés qui la composent selon les modalités qu’ils ont fixées au moment de la constitution de la société civile et que ce sont eux qui sont imposés selon le régime dont ils relèvent.

3.2 La taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

Par principe, les petites entreprises familiales sont assujetties à la TVA, qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une personne morale et dans cette hypothèse quel que soit le statut adopté. En effet, elles exercent une activité économique au sens de l’article 256 A du CGI (code général des impôts) qui dispose que « sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention ».14 Toutefois des exonérations d’imposition sont organisées pour certaines activités économiques par l’article 261 du CGI ; l’une d’entre elles nous intéresse particulièrement car elle concerne les activités médicales et paramédicales qui sont souvent exercées par le biais d’une entreprise familiale (article 261-4,1°) ; de ce fait si les professions libérales d’une manière générale relèvent de la TVA, ce n’est pas le cas des professions médicales et paramédicales.

Une autre exception existe au profit du micro-entrepreneur, et ce quelle que soit l’activité exercée. Il ne s’agit pas à proprement parler d’exonération, mais d’une franchise en base de la TVA à condition que le chiffre d’affaires réalisé soit inférieur à un certain montant.15 Il en résulte que si la micro-entreprise peut ne pas relever de la TVA, il ne s’agit que d’une franchise et que le principe d’ assujettissement demeure.

3.3 Les autres impôts

Impôt sur les bénéfices et taxe sur la valeur ajoutée payées, l’entrepreneur familial n’en a pas fini avec les règles fiscales. De nombreux autres impôts sont encore susceptibles d’être dus au profit de l’État, des collectivités territoriales ou d’autres organismes publics selon le statut de l’entreprise. La plus remarquable parce qu’elle concerne toutes les entreprises et en raison de son impact sur les finances de l’entreprise, est la cotisation foncière des entreprises (CTE)16 qui est prélevée au profit des communes ou de leurs établissements publics et qui est assise sur la valeur locative (théorique) des biens immobiliers passibles d’une taxe foncière et utilisés par l’entreprise pour les besoins de son activité professionnelle.

Cependant cette contribution, comme les autres, ne présente pas de régime particulier par rapport à ceux qui sont payés par tes autres entreprises ; en outre, ces autres contributions n’ont pas le même effet financier sur l’entreprise. Il suffit donc de faire la liste des principales, telles que les droits de mutation lors de la cession du fonds de commerce, la cotisation sur la valeur ajoutée de l’entreprise, la taxe sur les véhicules des sociétés, la taxe d’apprentissage, la participation à la formation professionnelle continue, la participation à l’effort de construction. On voit que l’entrepreneur familial est amené à entretenir des relations continues…et « riches » avec l’administration fiscale.

4 Conclusion

La variété des régimes d’imposition est vaste, surtout lorsque l’impôt frappe le bénéfice et il n’est pas facile de s’y retrouver en particulier lorsqu’on est un entrepreneur familial. On y trouve la trace de la volonté du législateur de ne pas la faire échapper à l’impôt tout en tenant compte de sa spécificité.


  1. Issu de l’article 7 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises, JORF n°0119, 23 mai 2019. Cette loi modifie la loi n° 2010-658 du 10 juin 2010, relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, (JORF n° 0137 du 16 juin 2010) et la loi n° 1994-126 du 11 février 1994, relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle (JORF n° 37 du 13 février 1994).

    En outre, la loi n° 2022-172 du 14 février 2022, en faveur de l’activité professionnelle indépendante (JORF n° 0038, 15 février 2022) a redonné le nom d’« entreprise individuelle » à ce qui avait été dénommé « entreprise individuelle à responsabilité limitée » par la loi de 1994.↩︎

  2. Loi n° 85-697 du 11 juillet 1985, relative à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l’exploitation agricole à responsabilité limitée, JORF 12 juillet 1985, p. 7862.↩︎

  3. La SCM est formée par des membres qui conservent une totale indépendance d’exercice. L’objet consiste seulement à mettre en commun les moyens (locaux, personnel, matériel) pour diminuer leurs frais. Elle n’a donc pas de but lucratif et c’est pour cela qu’elle bénéficie de la « transparence fiscale » (Code civil, articles 1845 et s.).↩︎

  4. La SCP est créée par des associés ayant la même profession libérale réglementée. Non seulement les associés mettent en commun leurs moyens, mais aussi ils exercent en commun leur activité (Code civil, articles 1845 et s.).↩︎

  5. Le GAEC a été créé par la loi n° 62-917 du 8 août 1962, relative aux groupements agricoles d’exploitation en commun (GAEC), JORF 9 août 1962 ; son statut est encadré par les articles L.323-1 à L.323-16 et R.323-8 à R. 323-54 du Code rural et de la pêche maritime.↩︎

  6. L’EARL a été créée par la loi n° 85-697 du 11 juillet 1985, relative à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) et à l’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL), JORF 12 juillet 1985 ; son statut est encadré par les articles L.324-1 à 324-10 et D.324-2 à D.324-4 du Code rural et de la pêche maritime.↩︎

  7. Le Groupement foncier agricole a été créé par la loi n° 70-1299 du 31 décembre 1970 relative aux groupements fonciers agricoles, JORF 1er janvier 1971 ; son statut est encadré par les articles L.322-1 à L.322-23 du Code rural et de la pêche maritime↩︎

  8. La société civile d’exploitation agricole a été créée par la loi n° 66-679 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles, JORF du 30 novembre 1966 ; son statut est encadré par l’article L.311-1 du Code rural et de la pêche maritime↩︎

  9. Le revenu fiscal de référence de l’avant dernière année ne doit pas être supérieur à 26 070 euros par part de quotient familial. Ce seuil est majoré de 50 % par demi-part. Pour un couple (deux parts), le seuil s’élève à 52 140 euros, et pour un couple avec un enfant, le seuil s’établit à 65 175 euros (deux parts + une demi-part).↩︎

  10. 1 % pour les entreprises de vente ou de fourniture de logements tels que tourisme classé et chambre d’hôte ;1,7 % pour les entreprises réalisant des prestations de services commerciales ou artisanales et les loueurs en meublé ; 2,2 % pour les titulaires de bénéfices non commerciaux dont les recettes des professions libérales non réglementées.↩︎

  11. Il est possible de choisir entre le régime réel (réel normal pour les BIC ou déclaration contrôlée pour les BNC) ou le régime simplifié (micro-BIC pour les commerçants/artisans – chiffre d’affaires inférieur à 70 000 €-, micro-BNC pour les libéraux -72 500- ou bénéfice forfaitaire agricole -76 300). Il en découle un grand nombre de simplifications dont la dispense de comptabilité. Comme les règles sont toujours simples en matière fiscale, il ne faut pas confondre micro-entreprise dont on a décrit le régime, et micro-bénéfice !↩︎

  12. Depuis la loi du 14 février 2022, l’entreprise individuelle peut opter pour l’impôt sur les sociétés sans changer de statut juridique ; si c’est le choix effectué, elle profite du taux réduit sur les premiers 42 500 € de bénéfice. Outre les avantages déjà indiqués, ce choix permet de déduire la rémunération de l’entrepreneur du bénéfice et d’imposer celle-ci à l’impôt sur le revenu ; selon le montant respectif du bénéfice et de la rémunération, l’opération peut être fiscalement intéressante.↩︎

  13. Pour ce faire, la société doit avoir moins de 5 ans d’existence, employer moins de 50 salariés et réaliser un chiffre d’affaires ou avoir un total bilan inférieur à 10 millions d’euros. Enfin, c’est une personne physique (c’est-à-dire un particulier) qui doit exercer les fonctions de président.↩︎

  14. Le cinquième alinéa, ainsi rédigé, adopte la compréhension la plus large de l’activité économique :« Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées ».↩︎

  15. Article 293 B du CGI : Le montant dépend de l’activité exercée ; il va de 19 600 € pour les auteurs et artistes-interprètes à 91 900 € pour les livraisons de biens ou les ventes à consommer sur place. Une tolérance permet d’élever ces montants à 23 700 € et 101 000 €.↩︎

  16. Combinée avec la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE à ne pas confondre avec la TVA), la CFE forme la contribution économique territoriale (CTE), mais la mort de la CVAE est programmée pour 2027 ; il arrive que des impôts disparaissent !↩︎