1 Contexte général
Une fiscalité équitable et efficace sera au cours des prochaines années d’une importance majeure pour renforcer la compétitivité de l’économie européenne et financer les besoins des États. Intensifier la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est une des clefs qui permettra aux États membres de générer les recettes nécessaires pour faire face aux nombreux défis de notre époque. Il est en même temps essentiel de réduire les charges administratives pesant sur nos entreprises afin de permettre une reprise économique plus rapide.
L’écart de TVA (c’est-à-dire la différence entre les recettes de TVA attendues et les montants de TVA effectivement perçus) s’élève à 61 milliards d’euros en 2021.1 Ce qui est un montant encore très élevé malgré sa baisse importante et de manière continue depuis 2017 (126 milliards d’euros pour EU27).
La TVA est aussi considérée par les entreprises européennes comme un des domaines dans lequel les charges administratives sont les plus lourdes, notamment pour le commerce transfrontalier.
La communication de la Commission du 15 juillet 20202 a répondu à ce double défi. Dans ce cadre, la TVA joue un rôle clef car c’est à la fois une recette fiscale d’une importance majeure pour les États membres et en même temps une taxe pour lesquelles les entreprises sont les « collecteurs non rémunérées ».
2 Les réformes en cours en matière de TVA
D’importantes réformes en matière de TVA ont déjà été introduites afin de moderniser et de simplifier le système TVA, réformes qui commencent à porter leurs fruits – tant du point de vue de la lutte contre la fraude que du point de vue de la simplification des charges administratives, notamment pour le commerce transfrontalier.
Tout d’abord en matière de commerce électronique, le paquet TVA sur le commerce électronique,3 entré en vigueur en juillet 2021, a supprimé l’exonération de la TVA pour les importations de biens d’une valeur inférieure à 22 EUR, la TVA étant ainsi due sur tous les biens importés dans l’Union, ce qui réduit les possibilités de fraude et permet une concurrence plus équitable entre entreprises européennes et entreprises des pays tiers. Cette réforme a en même temps permis de lever l’un des principaux obstacles qui entravaient les échanges transfrontières des petites entreprises. Les entreprises qui vendent en ligne des biens aux consommateurs peuvent désormais s’acquitter de leurs obligations en matière de TVA dans l’Union en se rendant sur un portail en ligne dans leur propre langue et facile à utiliser, le « guichet unique européen », au lieu de devoir s’enregistrer dans chacun des États dans lequel ils ont des clients. Un guichet unique spécifique est créé pour déclarer les importations de faible valeur, l’IOSS ou « import One Stop Shop ». Il convient de rappeler que la charge administrative correspondante avait été évaluée entre 5 000 et 8 000 euros par entreprise et par État membre d’enregistrement, ce qui est très lourd pour les petites entreprises, au point parfois de leur faire renoncer à vendre dans d’autres États membres. Ce même guichet unique permet aux vendeurs extérieurs à l’Union de collecter la TVA sur les paquets expédiés vers l’Europe de manière simple et efficace et éviter ainsi des formalités douanières complexes. Cette réforme est d’une importance majeure et s’inscrit dans la ligne des réformes précédentes visant à progressivement faire en sorte que la TVA soit toujours due au lieu de consommation finale. Sa mise en place a constitué un défi important pour les administrations fiscales et douanières qui ont dû introduire des systèmes informatiques interconnectés afin de permettre ces simplifications pour les entreprises.
Trois ans après son entrée en vigueur, le moment est opportun pour dresser un premier bilan de cette réforme.
Tout d’abord les systèmes informatiques nécessaires au fonctionnement de ce paquet législatif ont été mis en place par les États membres avec succès et les entreprises ont dans l’ensemble accueilli très favorablement ces mesures. Près de 150 000 entreprises sont enregistrées aux différents régimes (indirectement beaucoup plus du fait du mécanisme de fournisseur présumé des plateformes pour les importations de petits envois et pour les ventes de biens dans l’Union européenne dont le propriétaire n’est pas établi). Plus de 22 milliards d’euros de TVA ont été collectés via ces régimes en 2023 (contre 15 milliards d’euros en 2021), ce qui traduit un succès incontestable reconnu de tous.
Le 1er janvier 2024, est en outre entré en vigueur une nouvelle directive en ce qui concerne l’instauration de certaines exigences applicables aux prestataires de services de paiement.4 En vertu des nouvelles règles, les prestataires de services de paiement (PSP) proposant des services de paiement dans l’UE doivent désormais tenir des registres relatifs aux bénéficiaires de paiements transfrontaliers. Depuis le 1er avril 2024, ils doivent en outre transmettre aux administrations des États membres de l’UE des informations sur ceux d’entre eux qui reçoivent plus de 25 paiements transfrontaliers par trimestre. Ces informations sont stockées dans la base de données du Système électronique central d’informations sur les paiements (CESOP), où elles sont agrégées et recoupées avec d’autres bases de données européennes. Toutes les informations du CESOP sont mises à la disposition des experts anti-fraude des États membres via Eurofisc, le réseau européen d’experts anti-fraude des 27 États membres et de la Norvège. Ces nouvelles mesures donnent aux autorités fiscales des États membres des instruments innovants pour détecter d’éventuelles fraudes à la TVA dans le commerce électronique perpétrées par des vendeurs établis dans un autre État membre ou un pays tiers. Conformément aux règles sur la protection des données, seules les informations relatives aux bénéficiaires de plus de 25 paiements transfrontaliers par trimestre, jugées pertinentes pour la lutte contre la fraude, sont effectivement transmises aux autorités fiscales, ainsi que les informations sur les montants des paiements reçus. Les informations sur les consommateurs et sur l’objet du paiement ne font pas partie de la transmission.
D’autres réformes importantes sont récemment entrées en vigueur ou vont bientôt être mises en œuvre.
Concernant les petites et moyennes entreprises, une nouvelle directive5 est entrée en viguer en 2025, permettant à la fois aux États membres d’appliquer une franchise de TVA plus élevée (85 000 euros au lieu de 5 000 euros6 aujourd’hui) et en même temps de permettre aux entreprises concernées de bénéficier de cette franchise lorsqu’elles ont des opérations dans d’autres États membres, sous réserve de ne pas dépasser un chiffre d’affaire dans l’Union de 100 000 euros et de respecter les limites de chiffres d’affaire nationaux. Il s’agit là d’une simplification importante dans la mesure où la franchise actuelle n’était pas applicable aux activités transfrontalières.
Par ailleurs, les instruments de coopération administrative dans le domaine de la TVA ont été renforcés: Eurofisc7 peut désormais, de sa propre initiative, coopérer et échanger des informations avec l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et Europol;8 les autorités fiscales peuvent échanger avec les autorités douanières des informations sur les importations soumises à la TVA et sur les fraudes douanières,9 et organiser des contrôles simultanés ou des enquêtes administratives effectuées conjointement dans le cadre desquels les fonctionnaires d’administrations fiscales étrangères peuvent participer activement aux enquêtes administratives.
En 2018, la Commission a également présenté une révision majeure du régime de TVA pour les échanges intra-communautaires.10 L’adoption de cette proposition de « régime de TVA définitif », qui supprimerait l’exonération sur les livraisons intra-UE, contribuerait à réduire la fraude à la TVA, et notamment la fraude Carrousel, et à faciliter le respect des règles. Son principe est simple : appliquer aux transactions intra-communautaires le même régime de taxation qu’aux transactions domestiques, avec application du taux de TVA du pays de destination. Un guichet unique serait établi pour faciliter les déclarations et le paiement et un système d’opérateurs agréés serait mis en place pour permettre à certaines entreprises fiables de continuer à acheter en franchise de TVA. Cette proposition est encore sur la table du Conseil, où elle rencontre encore une forte opposition. Cette opposition s’explique essentiellement par la réticence de certains États à accepter, en B2B et du fait de la déduction de la TVA en amont, le principe selon lequel la taxe est collectée par d’autres États membres et ceci sur des montants extrêmement importants. Cela traduit notamment un manque de confiance entre États, qui s’explique lui-même par les écarts TVA très différents au sein de l’UE.
Les discussions se portent par conséquent désormais sur les mesures pouvant être prises à court et moyen terme pour faciliter la lutte contre la fraude, notamment via l’utilisation des nouvelles technologies (échange d’informations au niveau transactionnel et en temps réel).
Une conférence a donc été organisée par la Commission en décembre 2019 sur le thème de la TVA à l’ère du numérique, ce qui a été l’occasion de dégager des pistes de réformes crédible pour renforcer le système TVA actuel au moyen des nouvelles technologies. Cette réflexion a en effet été axée sur la manière dont la technologie peut être utilisée par les autorités fiscales dans leur lutte contre la fraude fiscale, sur les avantages de la technologie pour les entreprises, et sur la mesure dans laquelle les règles actuelles en matière de TVA sont adaptées au commerce à l’ère du numérique.
3 La dimension européenne
3.1 La proposition de la Commission sur la TVA à l’ère numérique
L’ère numérique dans laquelle nous sommes nous impose de repenser complètement le système TVA. Qu’il s’agisse de la technologie pour faciliter les obligations, de la technologie pour assister l’administration dans la lutte contre la fraude ou de l’adaptation des règles TVA elles-mêmes à une économie elle-même transformée par le numérique, des réformes en profondeur sont nécessaires. Ces réformes, dont les idées ont émergé lors de la conférence de 2019, ont été annoncées par le plan d’action pour 2022. La proposition de la Commission du 8 décembre 202211 sur la TVA à l’ère numérique (VIDA) reflète cet engagement.
Cette proposition couvre trois grands volets :
a) La mise en place d’un enregistrement unique dans l’UE :
Même après la mise en œuvre du paquet TVA sur le commerce électronique, les assujettis enregistrés dans leur État membre d’établissement seront encore tenus de s’immatriculer à la TVA dans les États membres dans lesquels ils ne sont pas établis mais réalisent certaines opérations imposables. C’est le cas notamment pour les livraisons avec montage ou installation, les livraisons d’électricité (qui prennent une importance cruciale aujourd’hui avec les véhicules électriques, les entreprises du secteur ayant des bornes dans de nombreux États membres où ils ne sont pas forcément physiquement présents) ou certaines livraisons locales ou transferts de stocks. La Commission propose donc de modifier la directive TVA afin de tendre vers un système d’enregistrement à la TVA unique dans l’Union, ce qui permettrait aux contribuables de fournir des services et/ou de vendre des biens partout dans l’Union. Il est important de noter que cela ne signifie pas un enregistrement européen et qu’il s’agit plutôt d’un enregistrement unique dans le pays d’établissement.
Comment parvenir à ce résultat ? À travers d’une part un élargissement du champ d’application du guichet unique en matière de TVA, opérationnel depuis 2015 pour la déclaration et le paiement de la TVA sur les services de télécommunications, de radiodiffusion et de télévision et les services électroniques, et qui a été élargi en juillet 2021 par le paquet TVA sur le commerce électronique aux ventes à distance de biens et de services. Cette action vise à inclure toutes les opérations restantes entre entreprises et consommateurs (B2C) qui ne sont pas encore couvertes. Les contribuables devraient alors être en mesure de déclarer toutes les opérations B2C dans l’Union au moyen d’une déclaration de TVA unique à déposer dans leur État membre d’établissement. Il est également prévu d’utiliser le mécanisme du guichet unique pour couvrir les transferts intra-communautaires, afin d’éviter l’enregistrement à la TVA d’entreprises souvent petites opérant des transferts de stocks (par exemple lorsque leur logistique est gérée par une plateforme). L’autre outil qui pourra être utilisé afin d’éviter des enregistrements dans des pays où les entreprises ne sont pas établies est le mécanisme de l’autoliquidation, pour les opérations B2B, outil qu’il est proposé de généraliser.
Le mécanisme du fournisseur présumé, qui existe déjà pour les importations de petits envois en provenance de pays tiers, a également été étendu dans cette proposition. Cet outil avait pour but d’éviter d’enregistrer à l’IOSS de multiples PMEs non européennes en se fondant sur le principe qu’un nombre limité de plateformes enregistrées et payant la TVA à la place des vendeurs était préférable pour responsabiliser les plateformes et permettre un niveau élevé de respect des obligations. Il est donc proposé d’étendre cet outil du fournisseur présumé aux opérations intra-européennes, de manière à ce que la plateforme soit par principe redevable lorsqu’elle intervient dans une opération.
Il est aussi proposé des modifications au régime de taxation des ventes de biens d’occasion, œuvres d’art et antiquités, afin de lutter contre les distorsions de concurrence, suite à une demande de certains États membres dans le cadre des négociations récentes sur les taux.
Il est également proposé de rendre obligatoire l’utilisation du guichet unique (IOSS) pour les importations, afin de permettre une concurrence saine entre opérateurs, ainsi que de sécuriser l’utilisation de l’IOSS en liant mieux le numéro utilisé et les transactions spécifiques.
En outre, il est proposé de supprimer le seuil de 150 euros au-delà duquel il n’est aujourd’hui pas possible d’utiliser l’IOSS. Cette dernière proposition ne fait toutefois pas formellement partie du paquet VIDA mais a été proposée dans le cadre de la réforme récente du code des douanes.12
En ce qui concerne ce volet de la proposition, con elle est en vigueur depuis 1er janvier 2025. Certaines améliorations ponctuelles du guichet unique existant – sans impact informatique – étaient toutefois prévues pour le 1er janvier 2024.
L’impact prévu de ce volet était une diminution importante des charges administratives des entreprises, de l’ordre de 1 milliard d’euros par an. À terme, cette réforme devrait permettre de renforcer le marché intérieur et les échanges transfrontaliers.
b) Vers un échange d’information au niveau des transactions et en temps réel
Plusieurs États membres utilisent déjà les nouvelles technologies pour obtenir plus rapidement et avec plus de détails (au niveau de chaque transaction) les informations sur les opérations nationales, ceci dans le but de renforcer leur analyse de risque et de mieux lutter contre la fraude. Les mesures prises varient toutefois d’un État membre à l’autre, tantôt en temps réel tantôt au bout de quelques jours, parfois via un système déclaratif automatisé parfois via une facturation électronique obligatoire. Cette fragmentation du marché intérieur alourdit considérablement les charges pesant sur les entreprises qui exercent des activités transfrontalières. Ce surcout a ainsi été évalué à environ 1.6 milliards d’euros par an pour les entreprises.
Notons à cet égard le retard important pris par l’Union européenne dans ce domaine, si on compare avec les systèmes de facturation électronique et / ou de déclarations en temps réel mis en place ailleurs dans le monde, en Amérique Latine notamment, qui permettent parfois déjà des contrôles automatisés en temps réel, des déclarations préremplies ou même des remboursements en partie automatisés.
Dans l’Union européenne, le reporting est encore de manière générale un reporting périodique, qu’il s’agisse des déclarations nationales ou des états récapitulatifs (trimestriels puis mensuels) mis en place en 1993 lors de la suppression des frontières fiscales et l’instauration du marché intérieur. Ces obligations s’avèrent en pratique largement insuffisantes pour s’attaquer à la fraude et notamment à la fraude intra-communautaire. Les données des états récapitulatifs sont mises à disposition trop tardivement, la qualité des données est souvent insuffisante et il est difficile de procéder à des vérifications croisées automatiques avec d’autres bases de données.
La Commission propose par conséquent de moderniser les obligations de déclaration en matière de TVA. Ceci devrait garantir un échange d’informations plus détaillé et plus rapide, quasiment en temps réel, sur les opérations intra-communautaires soumises à la TVA et, dans le même temps, rationaliser les mécanismes pouvant être appliqués aux opérations nationales. La nécessité de développer davantage la facturation électronique est également abordée dans ce cadre, avec une facturation électronique obligatoire sur les opérations intra-communautaires et une possibilité pour les États membres de la rendre également obligatoire en domestique à condition de respecter le nouveau cadre juridique et technique prévu pour le reporting intra-communautaire.
Ce cadre juridique et technique était fondé sur les principes suivants :
Une facture électronique au format standardisé européen13 à émettre sous 2 jours,
Un reporting sous 2 jours d’un extrait de cette facture à transmettre à l’administration qui le transmet ensuite au site européen central,
Une suppression des états récapitulatifs mensuels actuellement obligatoires,
Une absence de pré-validation centrale obligatoire par les administrations fiscales des factures à émettre.
Certaines facilités et options spécifiques pour les opérations domestiques (notamment la possibilité d’accepter d’autres standards que le standard européen).
L’entrée en vigueur du nouveau dispositif était prévue au 1er janvier 2028, avec une possibilité immédiate pour les États membres d’imposer la facturation électronique sur les opérations domestiques dès l’entrée en vigueur de la nouvelle directive.
Le défi principal d’une telle proposition a été de trouver le juste équilibre entre besoins des administrations dans la lutte contre la fraude et le niveau d’harmonisation et de simplicité souhaité par les entreprises. La grande difficulté a aussi été d’atteindre un certain niveau d’harmonisation, sans pour autant engendrer des coûts importants de la part des administrations nationales qui ont déjà investi dans des systèmes performants.
En termes d’impact, ce volet devrait permettre une augmentation de 11 milliards d’euros par an des recettes fiscales, à travers une baisse de la fraude qui est déjà observée dans les États membres qui ont mis en place ce type de mesures (par exemple la Hongrie ou l’Italie). Il permettra également une diminution des charges administratives d’environ 4 milliards d’euros par an, du fait de la suppression des États récapitulatifs mais également du fait de l’harmonisation des systèmes de reporting domestiques.
c) Une réforme de la TVA pour s’adapter à l’économie des plateformes
Le développement rapide de l’économie des plateformes, qui ne constitue pas l’émergence d’un nouveau secteur mais plutôt une transformation radicale de l’économie tout entière, pose de nombreuses questions en matière de TVA.
Les personnes qui proposent des services ou des biens sur les plateformes sont-elles assujetties à la TVA ou non? Comment faire en sorte que l’identification des assujettis soit simple et efficace ? De quelle nature sont les services fournis et dans quel État membre doivent-ils être taxés ? En outre, il convient de s’interroger sur le rôle que les plateformes peuvent jouer aux fins de la perception de la taxe (conservation de données, échange d’informations avec l’administration, responsabilité solidaire voire collecte de la taxe). Il convient aussi bien entendu de tirer les leçons des limites des obligations existantes (article 242 bis de la directive TVA qui ne prévoit ni format commun ni coordination des demandes possibles des différentes administrations) et de rechercher une cohérence avec les règles en matière de fiscalité directe, récemment modifiées dans ce domaine (directive DAC714).
La Commission propose donc dans ce contexte de rendre les plateformes intervenant dans le secteur du logement à court terme et du transport de passagers les fournisseurs présumés et donc responsables de collecter la taxe à la place des prestataires de services, dans le but de lutter contre la fraude et les distorsions de concurrence. Les grandes plateformes proposant à elles seules des millions d’hébergement peuvent en effet aujourd’hui proposer ces services en grande partie hors TVA, en agrégeant des millions d’opérateurs couverts par des exonérations liées à leur faible chiffre d’affaire ou par des exonérations nationales spécifiques, et ainsi faire concurrence à des opérateurs individuels (des hôtels par exemple) qui doivent collecter la TVA. L’avantage de ce mécanisme, qui a fait ses preuves pour les importations de biens de faible valeur, est également de transférer à un nombre limité de plateformes le soin de collecter la TVA et d’ainsi augmenter le respect de la législation fiscale. D’autres juridictions dans le monde, le Canada par exemple, ont pris des mesures similaires.
La Commission propose en outre un régime harmonisé et clarifié de taxation des prestations de logement de moins de 45 jours, de manière à ce qu’ils soient traités comme les prestations hôtelières – qui sont déjà taxés.
La Commission propose également des règles harmonisées sur la localisation TVA des services d’intermédiation par les plateformes, en se fondant sur le principe que la localisation de la prestation d’intermédiation suit celle de l’opération sous-jacente.
L’entrée en vigueur de ce volet a eu lieu depuis le 1er janvier 2025.
En termes d’impact, ce volet devrait permettre 6 milliards d’euros de recettes supplémentaires aux États membres et une diminution des charges administratives de l’ordre de 500 millions d’euros par an.
3.2 État des lieux des négociations
Moins de deux ans après la présentation de cette proposition à la fois ambitieuse et complexe, les négociations, sous les présidences successives de la République Tchèque, de la Suède, de l’Espagne puis de la Belgique et de l’Hongrie, ont très bien avancé au Conseil et un texte fait déjà l’objet d’un accord au niveau technique à l’exception du volet plateformes. Ce texte a été discuté au Conseil ECOFIN de mai et a reçu l’aval des ministres à l’exception du ministre estonien qui a fait part de réserves sur le volet relatif aux plateformes. Le Conseil ECOFIN de juin n’a malheureusement pas permis de lever ces réserves et les discussions sont toujours en cours sous la nouvelle présidence polonaise.
Que prévoit ce texte de compromis de la présidence belge et en quoi est-il différent de la proposition initiale ? Tout d’abord, en termes de timing, le dernier texte de compromis prévoit une entrée en vigueur progressive du paquet VIDA et donne plus de temps aux États membres et aux opérateurs pour s’adapter :
une entrée en vigueur immédiate de certaines dispositions telles que la possibilité pour les États membres d’imposer la facturation électronique pour les opérations domestiques,
une entrée en vigueur en janvier 2026 de certaines dispositions relatives au paquet e-commerce ne nécessitant pas d’adaptations informatiques majeures, par exemple l’extension du guichet unique aux livraisons d’électricité pour éviter les multi-enregistrements des entreprises offrant ces services aux conducteurs de véhicules électriques,
une entrée en vigueur en juillet 2027 du volet enregistrement unique à la TVA ainsi que du volet plateformes,
une entrée en vigueur en juillet 2030 du volet sur le reporting en temps réel.
Voyons plus en détail le contenu de ce texte, pour chacun des trois volets. Bien entendu, il conviendra de suivre attentivement la suite des négociations, cet article reflétant la situation début septembre 2024.
a) L’enregistrement unique à la TVA :
Peu de modifications substantielles ont été faites sur ce volet. Le principe de l’enregistrement unique à la TVA, au moyen d’une généralisation du guichet unique à toutes les transactions B2C et aux transferts intra-communautaires de biens ainsi qu’à la généralisation de l’autoliquidation en B2B, demeure gravé dans le texte.
Les principales modifications sont les suivantes :
Le Conseil a retiré du texte les dispositions sur l’extension du mécanisme du fournisseur présumé aux opérations intra-communautaires faute de consensus sur cette question mais a demandé à la Commission d’analyser ce sujet à nouveau d’ici 2027 en vue d’éventuelles propositions. D’un côté certains États hésitaient à transférer la collecte de la TVA de petites entreprises souvent domestiques à des plateformes non établies, de l’autre côté certains soulevaient la fraude importante perpétrée via ces plateformes et le besoin d’impliquer plus ces dernières dans la collecte de la TVA.
Le Conseil a également retiré du texte les dispositions proposées sur les ventes de biens d’occasion, œuvres d’art et antiquités, notamment du fait de leur impact incertain.
Le Conseil a enfin décider de retirer les nouvelles dispositions relatives à l’IOSS obligatoire afin de les rediscuter dans le cadre de la réforme du code des douanes, en même temps que la proposition visant à supprimer le seuil de 150 euros sur l’IOSS.
b) L’échange d’information au niveau des transactions et en temps réel
Des modifications importantes de la proposition sont intervenues durant le processus de négociation.
Les plus importantes sont les suivantes :
tout d’abord le principe selon lequel les systèmes de facturation électronique et de reporting domestiques devront être harmonisés et alignés sur le nouveau système intra-communautaire demeure un principe fondamental.
ensuite le système en deux étapes, proposé par la Commission (facturation électronique structurée puis reporting), est remplacé par un système en une étape (facturation électronique qui génère automatiquement le reporting),
la mise en place d’un processus de validation technique des factures électroniques est incluse dans le texte, de manière à ce que le reporting puisse être entièrement automatisé. Ce processus de validation pourra s’opérer via des tiers de confiance, via des sites publics ou par l’entreprise elle-même dans certaines conditions à définir.
l’émission des factures devra être faite sous 10 jours et l’envoi du reporting sera automatique et immédiat,
la possibilité d’émettre des factures récapitulatives est conservée sous certaines conditions,
le reporting par le client devient optionnel pour les États membres et doit être fait sous 5 jours.
les États membres ayant déjà investi dans des systèmes techniques différents, tels que des systèmes de clearing centralisé des factures par des sites publics, pourront les conserver jusqu’en janvier 2035. De même, certains systèmes tels que le « reporting SAFT-T » pourront continuer à exister dans la mesure où ils ont fait leurs preuves dans certains États membres.
c) Les règles de TVA relatives à l’économie des plateformes
Cette partie de la proposition est toujours en négociation dans la mesure où un État membre a opposé son véto lors des deux Conseils ECOFIN au cours desquels cela a été discuté. Ce qui suit est donc une description du texte tel qu’il est actuellement.
Par rapport à la proposition initiale, les principales modifications sont les suivantes :
Une taxation de principe des prestations de logement de moins de 30 jours mais une possibilité laissée aux États membres de définir certains critères et conditions relatives à cette taxation, certains États membres craignant un enregistrement massif à la TVA de petits opérateurs ou personnes privées – difficiles à contrôler par leur nombre très élevé – souhaitant déduire la TVA sur l’acquisition de biens immeubles.
Un « SME opt out » permettant en outre aux États membres d’exclure du mécanisme du fournisseur présumé les petites et moyennes entreprises en franchise de TVA. Cette disposition nouvelle, qui reste une option pour les États membres, ne remet pas en cause la responsabilité générale des plateformes vis-à-vis de la TVA mais permet de ne pas collecter la taxe lorsque l’opérateur sous-jacent était lui-même exonéré. Cette disposition répond à une des principales critiques émises contre ce mécanisme, l’absence de neutralité lié au traitement différent d’opérations similaires. Certes, les petits opérateurs exonérés avaient déjà la possibilité dans le cadre de la proposition initiale de s’enregistrer à la TVA afin d’éviter une taxation sans déduction des inputs. Mais cette disposition supplémentaire donne aux États membres un outil supplémentaire afin de rendre le système parfaitement neutre. Il convient également de noter dans ce cadre que la situation en matière de concurrence et le niveau des seuils d’exonération des petites et moyennes entreprises ne sont pas les mêmes dans tous les États, notamment dans le secteur du transport local de passagers (taxis et VTC).
4 Au-delà de VIDA, l’avenir du système TVA
Bien que la proposition VIDA ne soit pas encore adoptée, il convient de réfléchir dès à présent sur son impact plus structurel sur le système TVA.
Quel système TVA voulons nous pour 2050, dans une Europe où le reporting en temps réel sera la norme et où l’économie aura été profondément transformée par l’ère digitale ? La proposition sur le régime définitif sera-t-elle encore d’actualité ? Convient-il d’inventer un nouveau modèle ? Devons-nous aussi collecter la TVA en temps réel ? Remettre en cause les paiements fractionnés ?
Toutes ces questions font d’ores et déjà l’objet de débats et de réflexions, notamment au sein du groupe d’experts sur la TVA – qui a remi un rapport à la Commission à la fin de cette année.
Ces réflexions devront s’inscrire dans le cadre de la priorité accordée par l’Union européenne au renforcement de la compétitivité des entreprises européennes ainsi qu’à l’approfondissement du marché intérieur, dans le sillage des rapports d’Enrico Letta et de Mario Draghi.
https://taxation-customs.ec.europa.eu/taxation/vat/fight-against-vat-fraud/vat-gap_en↩︎
Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil “Plan d’action pour une fiscalité équitable et simplifiée à l’appui de la stratégie de relance”, COM(2020) 312 final du 15/07/2020.↩︎
Directive (UE) 2017/2455 du Conseil, règlement (UE) 2017/2454 du Conseil, règlement d’exécution (UE) 2017/2459 du Conseil, directive (UE) 2019/1995 du Conseil, règlement d’exécution (UE) 2019/2026 du Conseil, règlement d’exécution (UE) 2020/194.↩︎
Directive 2020/284 du Conseil du 18 février 2020 modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne l’instauration de certaines exigences applicables aux prestataires de services de paiement↩︎
Directive du Conseil 2020/285/CE du 18/02/2020 modifiant la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne le régime particulier des petites entreprises et le règlement (UE) no 904/2010 en ce qui concerne la coopération administrative et l’échange d’informations aux fins du contrôle de l’application correcte du régime particulier des petites entreprises.↩︎
Sous réserve d’un certain nombre d’exceptions prévues par la directive elle-même ou par des dérogations individuelles sur la base de l’article 395 de la directive.↩︎
Eurofisc est un réseau permettant l’échange, le traitement et l’analyse rapides d’informations ciblées sur la fraude transfrontière entre les États membres, ainsi que la coordination des actions de suivi.↩︎
En outre, Europol a créé le nouveau Centre européen sur la criminalité financière et économique. Celui-ci renforcera l’appui opérationnel apporté aux États membres et aux organes de l’Union dans le domaine de la criminalité financière et économique et encouragera le recours systématique aux enquêtes financières; https://www.europol.europa.eu/newsroom/news/europol-launches-european-financial-and-economic-crime-centre↩︎
Règlement (UE) 2018/1541 du Conseil du 2 octobre 2018 modifiant les règlements (UE) nº 904/2010 et (UE) 2017/2454 en ce qui concerne des mesures de renforcement de la coopération administrative dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée (JO L 259 du 16.10.2018, p. 1).↩︎
Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne l’introduction de mesures techniques détaillées pour le fonctionnement du système de TVA définitif pour la taxation des échanges entre les États membres, COM(2018) 329 du 25 mai 2018.↩︎
Proposition de directive du Conseil 701/2022 du 08/12/2022 modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne les règles en matière de TVA adaptées à l’ère numérique, proposition de règlement du Conseil 703/2022 du 08/12/2022 modifiant le règlement (UE) nº 904/2010 en ce qui concerne les modalités de coopération administrative en matière de TVA nécessaires à l’ère numérique et proposition de règlement d’exécution du Conseil 704/2022 du 08/12/2022 modifiant le règlement d’exécution (UE) nº 282/2011 en ce qui concerne les exigences en matière d’information applicables à certains régimes de TVA.↩︎
Proposition de directive du Conseil 2023/262 du 17/05/2023 modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne les règles de TVA applicables aux assujettis qui facilitent les ventes à distance de biens importés et la mise en œuvre du régime particulier applicable aux ventes à distance de biens importés de territoires tiers ou de pays tiers et du régime particulier pour la déclaration et le paiement de la TVA à l’importation.↩︎
Dans l’UE, certaines entreprises et toutes les administrations publiques utilisent la norme européenne en matière de facturation électronique EN 16931.↩︎
Directive 2021/514 du Conseil du 22 mars 2021 modifiant la directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal.↩︎