Studi Tributari Europei. Vol.11 (2021)
ISSN 2036-3583

Jacques, qui aimait le futur

Adriano Di PietroGià Professore Ordinario di diritto Tributario dell’Università di Bologna; Accademia delle Scienze (Italy)

Published: 2022-09-21

Mesdames, Messieurs, chers collègues, chers amis, chère Jacqueline, chère Alexia,

J'ai toujours gardé le premier souvenir de ma rencontre avec Jacques C'était l'occasion de se retrouver pour la première fois à Bologne. Je me souviens de son regard curieux vers le plafond, le haut plafond d'une des plus hautes arcades enveloppant la ville. Sous les arcades offrant protection et en libérant en hauteur les pensées, Jacques aurait plongé, à l'occasion de la présentation de l'hommage que beaucoup de collègues avaient voulu lui offrir, sa fiscalité. Sous les arcades il cherchait des flèches, les mythiques témoins d'un temps passé. Je partageais avec lui la difficile recherche, mais il insistait, malgré la hauteur du plafond, malgré l’obscurité qu'une soirée d'automne nous offrait. J'ai bien compris après des années de collaboration et de profonde amitié, le sens plus que la raison de son insistance. Il voulait trouver là haut ce qu'il paraît caché, ce qu'aurait pu offrir une liaison entre passé et présent ; une liaison qu'on trouvait en haut, une liaison qu'il fallait chercher pour retrouver une mémoire sans laquelle aurait été difficile comprendre le présent et imaginer le futur

1 Le sentiment du futur

Aimer le futur est un sentiment que Jacques a toujours exprimé dans sa vie. Qu’importe le domaine académique, scientifique, professionnel de son activité. Qu’importe le territoire, belge italien, français, espagnol, africaine, où il agissait. Qu’importent les institutions auxquelles il offrait sa collaboration, sans distinction de leur nationalité, ni de leur organisation. Qu’importent les interlocuteurs, fussent-ils étudiants, collègues, politiciens, fonctionnaires des administrations publiques et financières.

A tous il offrait son idée du futur de la fiscalité, toujours accompagnée, presque naturellement, de la pleine disponibilité à la réaliser. Il partageait donc avec tous, l'engagement comme force naturelle à soutenir l'efficacité de ses projets ; efficacité, qui, une fois réalisée n'aurait jamais été une affirmation personnelle sinon le succès d'un projet fiscal devenu commun. Le futur pour Jacques était toujours éclairé par la recherche. Une véritable vocation toujours nourrie par les études et les relations de l'Université et pour l'Université. Une vocation poursuite sans cesse, qui était devenue l'inspiration des tous les champs d'application que Jacques a su poursuivre dans son expérience Alors qu'il offrait sa connaissance juridique et fiscale aux projets des industries chimiques, en anticipant leur rôle dans la création d'un marché européen. Peu importe qu’il se soit agi de continuer à gérer les affaires professionnelles en offrant toujours ses propositions d'interprétation inspirées de la dimension européenne du droit fiscal qui devenait de plus en plus importante. On comprend donc pourquoi il pensait au futur où la fiscalité, pour Jacques, gagnait toujours un rôle principal dans le développement de relations économiques et sociales, alors qu'il n'avait jamais accepté une fiscalité tournée exclusivement vers la maximisation des entrées publiques. En gagnant de plus en plus son rôle social, la fiscalité, pour Jacques, n'aurait pas pu oublier sa fonction moderne : celle de partager la responsabilité d'une Communauté politique et sociale dans le financement du développement d'une société qui devenait de plus en plus intégrée et européenne, en cohérence avec sa solide et démocratique responsabilité financière. Pas de place donc dans la vie scientifique et professionnelle de Jacques pour le fiscalisme qui appauvrit la responsabilité financière Une responsabilité d'un autre côté, réglée par la cohérence systématique, la rationalité, l'importance de buts bien au-delà de l'application sombre et sévère des textes et donc une application myope. Une responsabilité celle de Jacques, qui n'a jamais oublié les buts d'intégration économique et de responsabilité sociale au nom de l'égalité qu'une société demande pour ne pas transformer la responsabilité, civile et consciente, en un véritable esclavage fiscal. Un futur auquel Jacques demandait toujours, au nom de la participation démocratique aux dépenses publiques, une responsabilité de plus en plus élevée : celle des interprètes, où augmentaient les exigences financières nationales mais où les relations économiques devenaient plus libres.

2 La création du futur dans la fiscalité

Jacques pensait au futur alors qu’il renouvelait sa confiance dans les études et les recherches d'une fiscalité véritablement européenne, en soutenant les buts d'harmonisation d'une économie de plus en plus intégrée, en partageant les solutions innovatrices que la jurisprudence d'une Cour européenne offrait sans cesse, en poussant les législateurs nationaux à prendre leurs responsabilités de plus en plus européennes.

Un futur dans la fiscalité qu'il a toujours aidé à bâtir, bien convaincu de la responsabilité des institutions où il a travaillé pendant ce long et difficile chemin.

Il renouvelait chaque jour sa confiance dans les Universités, avant tout à celle de Louvain, mais aussi à d'autres belges et européennes, où il montait et gérait ses projets scientifiques et didactiques. Là où il aimait créer le futur, bien convaincu, toujours plus, de la capacité des jeunes. Peu lui importait qu’ils fussent étudiants, chercheurs ou professeurs ; peu lui importait qu’ils fussent wallons ou flamands, ou italiens ou français ou allemands, tous devaient être protagonistes de la création d'un droit fiscal en Europe et pour l'Europe. Un engagement continu et enthousiaste de Jacques, en renouvelant l'importance d'une formation critique et ouverte des jeunes chercheurs, pour un droit fiscal européen sans oublier l'ancien modèle de création bolognese de l'Université ou c'était aux étudiants d’être les protagonistes ; mais c'était au XIII siècle .

C'était donc le troisième cycle du parcours universitaire qui aurait pu bien et mieux aider à imaginer le futur. Sans les restrictions des programmes de la gestion des cours du premier et du deuxième cycles c'était donc l'après, le lieu idéal où bâtir le futur. Ce devait être poursuivi par les jeunes chercheurs qui, en même temps, avaient l'illusion et la liberté d'imaginer les nouvelles voies que la fiscalité aurait dû trouver et surtout dans le domaine d'une Europe mais pas encore européenne. Le futur dans le domaine fiscal a donc su trouver quelques réponses face aux interrogations qui traditionnellement l'entourent. Ceci grâce aux dépenses scientifiques pour le développement de la recherche enrichies par des discussions, des rencontres, des publications qu'une collaboration tout à fait nouvelle entre Universités a permis d'enrichir d'une manière originale.

Ce futur donc allait devenir institutionnel, alors qu'on a signé un accord de doctorat en cotutelle avec l'Université de Bologne alors qu'on a réussi à bâtir la une nouvelle dimension que Jacques avait voulu imaginer et avait obtenu malgré les dépits, les perplexités des institutions qui, comme on sait, préfèrent gérer ce qu'il existe déjà, plutôt qu'imaginer le futur.

Le futur qui est devenu un nouveau présent grâce aux jeunes professeurs et à leur capacité et à leur force d'organiser un développement des projets et des programmes de collaboration entre les Universités belges et européennes.

Louvain, Liège, Bologne, le doctorat en droit fiscal européen a été pour Jacques l'occasion fertile pour projeter, organiser, discuter, pour et avec les jeunes chercheurs, leurs projets en leur offrant toujours le sens du futur. Ce que Edoardo, Diego, Maria Elena et beaucoup d'autres dont l'âge m' a fait perdre les noms mais pas la mémoire, ont su bien interpréter et magnifiquement gérer dans les domaines académiques et institutionnels. Ce que Jacques a su créer grâce à un engagement ininterrompu pendant plusieurs années ; sans cesse mais toujours en souriant, riche d'une souplesse enviable, jamais préoccupé des engagements mais poussé par une force extraordinaire d'aller en avant et ne pas seulement s'imaginer comme un poète de la fiscalité européenne mais aussi et surtout de dépasser les limites que son propre engagement continuait à créer .

La TVA commençait à s’installer en Europe et Jacques avait commencé à s'occuper des difficultés d'interprétation cohérente des législations nationales. Il s'apercevait de la difficulté de concilier la dimension européenne et les choix nationaux avant que la Cour imposât, occasion après occasion, la vision de plus en plus intégrée de l'impôt. Interprétation européenne et application nationale étaient toujours les extrêmes que Jacques voulait et devait concilier en offrant aux collègues, aux juges et aussi aux législateurs et en particulier au législateur belge, les solutions d'interprétation et d'application les plus cohérentes avec l'ordre juridique européen, qui devenait aussi une partie importante d'une culture européenne en évolution permanente. Comme il sera possible d’en débattre dans la table ronde.

Le marché européen devenait de plus en plus large et robuste, alors que les libertés qui le fondaient permettaient et justifiaient une concurrence transfrontalière, fondée sur les différences des régimes fiscaux. Voilà la responsabilité fiscale que Jacques reconnaissait aux Universités et aux jeunes chercheurs de toute l'Europe, et pas seulement belges: celle de réfléchir, d'une manière cohérente, sur les relations du droit fiscal dans un marché inspiré par ses libertés y compris celle de concurrence. Celle qui aurait pu se développer librement en Europe, même dans quelques domaines fiscaux, si la Cour de justice, malgré le libre développement du marché, n'avait pas su reconnaître sa compétence sur les régimes nationaux frappant les revenus transnationaux. Si les chercheurs de bonne volonté, comme Jacques, n'avaient pas été capables de transformer les engagements d'interprétation de la Cour en principes et donc en solutions cohérentes. Les mêmes auxquelles les législateurs nationaux auraient dû inspirer leurs solutions, même dans les régimes fiscaux nationaux des sociétés, dont s'occupera une table ronde, et pas seulement des relations transfrontalières des sociétés nationales.

Le système juridique européen que la plus forte intégration économique et juridique allait créer, demandait de plus en plus des principes, dans la tradition de systèmes juridiques nationaux. Il s'agissait de principes généraux dont l'efficacité dans les différents domaines fiscaux, demandait une réflexion, une analyse systématique qu'il fallait découvrir et comprendre pour réussir à intégrer les compétences des Traités et les interprétations plus larges de la Cour de Justice. Sans donc les limites européennes à cause de l'absence d'une compétence formelle de l'Union en matière d'imposition directe, les régimes fiscaux pouvaient être toujours en discussion. Il fallait des critères et méthodes d'interprétation. Ceux que la Cour de Justice a souvent et sans cesse offerts mais face auxquels restait toujours la responsabilité des interprètes, comme Jacques, auxquels on a toujours demandé de contrôler les solutions conformes ou d'en proposer d'autres et différentes. Un parcours d'interprétation que les législateurs nationaux feignaient d'ignorer, ne s'engageant pas à accepter ; que les administrations répugnent à accepter et que les juges nationaux ne connaissent pas dans une forme proportionnée à leur importance. D’où une augmentation continue des recherches, grâce aussi à la liberté méconnue dont Jacques a su toujours bénéficier ; grâce à son effort de méthode, à sa capacité de critique sur les résultats, à ses propositions, à la force des principes qui ont permis de garder la méthode d'interprétation et d'application tout en développant l'efficacité et les résultats.

Cette démarche de Jacques n'a jamais été un parcours solitaire grâce à ses contributions, toujours enthousiastes et responsables. Il a toujours offert et vécu une occasion continue de comparer, de proposer, d'intégrer dans le domaine de la recherche, c'est-à-dire celui de l'Université. Un parcours qu’il a créé, au nom d'une formation juridique européenne, pour un véritable droit fiscal européen, qu’il a développé sans cesse en offrant au doctorat européen et à ses élèves le sens profond de leur responsabilité de recherche et de formation .

3 L'engagement pour le futur

L'engagement d'une vie scientifique et didactique n'aurait pas pu se terminer avec ces importants résultats en faisant vivre la nouvelle dimension de la fiscalité européenne. Il fallait en outre la faire devenir une véritable fiscalité d'Europe grâce à un patrimoine de connaissance et d'expérience que l'Europe avait commencé à administrer mais dont il fallait garantir la continuité. Ceci grâce à Jacques, à l'efficacité des engagements d'une vie et à sa responsabilité de traduire les interventions, les discussions, les propositions en une dimension institutionnelle. La seule, Jacques en était bien convaincu, qui aurait pu garantir une efficacité commune et continue pour un projet original et ambitieux. Ce qui aurait dû garantir la solidité mais aussi la modernité d'une nouvelle institution comme le Master européen en droit fiscal en intégrant en continuité, dans une vision institutionnelle, les expériences qu'il avait vécues pendant plusieurs années et les projets de transformation continue que l'Europe poussait. Pour ce Master, Jacques pensait encore une fois aux jeunes à ceux qu'il n'aurait pas pu connaître mais à qui il voulait offrir une occasion stable pour leur autonomie dans les domaines universitaires de la Belgique et d'Italie et finalement d'Europe. On comprend donc pourquoi il avait voulu contribuer à créer une nouvelle institution, ouverte aux contributions et aux expériences des autres Universités, bénéficiant d'un programme innovant grâce à une reconnaissance européenne. Voilà les raisons de cette forte émergence institutionnelle qui l’a porté à développer une vision originale et courageuse en mettant les Universités face à leurs responsabilités. Un engagement sans réserve vers ce but, malgré les difficultés qu’il rencontrait. Rien, je ne remarque que rien, n’aurait pu éteindre cette confiance. Qu’importe si un fonctionnaire ne partageait pas ces propositions, si les institutions restaient perplexes face à un projet original et réformateur, s'il était difficile convaincre les Universités de l'efficacité d'un Master intégré et européen, malgré l'absence d'un modèle, malgré les différences importantes entre les différentes visions du troisième cycle de formation juridique et économique. C'était cette extraordinaire confiance dans ce nouveau projet, dont auront bénéficié les jeunes chercheurs européens, je m'en souviens, qui lui donnait la force de dépasser les limites que lui posaient les institutions, les règlements, l'absence des précédents. Jacques savait bien qu'il ne s’agissait pas de dépasser un obstacle mais de parcourir un passage, dur, difficile, mais toujours un passage vers un but qu'il était bien sûr d'assurer.

Aujourd'hui grâce aussi à la force et à l'enthousiasme de Jacques, grâce à sa capacité de solliciter les engagements, de présenter et de réaliser les projets, dans le dévouement d'un doctorat véritablement européen, intégré par plusieurs Universités européennes et grâce à un Master en intégrant les expériences belges et et italiennes au regard d'une fiscalité véritablement européenne bien intégrée de droits fiscaux nationaux entre eux et dans le dimension européenne, on a pu longtemps offrir à de nombreux et toujours enthousiastes étudiants et chercheurs un original et efficace exemple de formation et de recherche.

Maintenant nous vivons dans le monde d'une fiscalité véritablement européenne ; celle que Jacques avait toujours recherchée en discutant, en écrivant, en organisant ; celle qu'il n'avait pas seulement prévu en s'engageant jour après jour. Aujourd'hui la primauté de l'Union va s'épandre en renforçant la compétence dans l'imposition indirecte, de plus en plus en se développant dans le domaine de l'imposition directe, en renforçant l'importance de l'efficacité des exonérations fiscales dans le domaine des aides d'Etat.

La Cour de justice a étendu son rôle dans lequel elle a su renforcer son rôle traditionnel d'interprétation en l'enrichissant, décision après décision,d'une nouvelle responsabilité d'application. Les juges nationaux ont finalement compris l'importance du développement et de l'efficacité du droit européen surtout dans tous les domaines fiscaux en devenant de plus en plus de juges européens.

Les professionnels se rendent de plus en plus compte de l'efficacité du droit fiscal européen et de ses interprétations et applications.

Finalement les Universités ont compris l'importance croissante du droit fiscal européen dans l'étude et la recherche d'une formation véritablement juridique en devenant de plus en plus les meilleurs agents du projet que Jacques avait voulu toujours réaliser.

L'Europe devenue finalement fiscale va devenir ce que Jacques avait lutté pour le réaliser et pas seulement prévu. Ce que Jacques avait vécu et tout ce que Jacques avait voulu.

Merci, Merci beaucoup Jacques